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formée de toutes les matières volatiles à ces températures élevées et notamment d’une énorme quantité de vapeur d’eau. Quand la température a baissé, cette vapeur s’est condensée à l’état liquide, et roulant ses vagues sur la surface dure, anguleuse des roches, elle a commencé à les disloquer, à les corroder, à les entraîner dans ses mouvemens incessans. L’abaissement de la température a non seulement transformé la vapeur en eau liquide, mais encore en glace. Or, au moment où elle se solidifie, où elle gèle, l’eau augmente de volume, et la force, développée par ce changement d’état, est suffisante pour exfolier les roches les plus dures : d’où l’expression employée pour caractériser les froids rigoureux : « il gèle à pierre fendre ».

Lorsqu’une roche commence à se fissurer, elle est condamnée à être brisée, réduite en fragmens, pulvérisée même ; l’eau, en effet, pénètre dans ces fissures, s’y gèle et agit comme un coin pour écarter les parois de la crevasse ; celle-ci s’élargit, devient plus profonde, et la désagrégation s’accélère… les fragmens de la roche restent parfois en place, mais au moindre effort, ils se détachent et tombent.

Quand la glace se forme dans les petites cavités des pierres, elle exerce déjà une dislocation puissante ; elle agit cependant encore avec une bien plus grande énergie, lorsque, réunie en grande masse, elle descend des hautes montagnes. Dans le mouvement lent mais continu qui les entraîne des sommets vers les vallées, les glaciers usent, polissent la surface des rochers sur lesquels ils s’écoulent. Les fragmens de pierre qui tombent sur la glace s’y enfoncent peu à peu par suite de la fusion que provoque l’élévation de leur température au soleil et, quand ils ont pénétré jusqu’au lit pierreux sur lequel glisse le glacier, ils agissent comme un outil solidement encastré ; ils strient, rabotent la roche. Dans leur mouvement continu, les glaciers atteignent les parties basses où l’eau reprend l’état liquide, ils abandonnent alors des fragmens de roche, des graviers, du sable, et ces moraines sont comme les témoins de l’usure qu’a subie la montagne. Les fragmens de roches, s’éboulant des hauteurs et tombant dans les parties basses, sont souvent charriés pendant de longs parcours par les eaux des torrens ; on trouve dans la Crau des débris rocheux, provenant des Alpes, que la Durance a entraînés à 240 kilomètres ; pendant ces transports, les cailloux se frottent les uns contre les autres, s’usent, perdent leurs aspérités, s’arrondissent et