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délais sont donnés pour le paiement. Il n’y a là rien d’excessif ni qui justifie les déclamations habituelles contre les bureaux de placement.

Quant au gain de l’institutrice, il est des plus variables et dépend non seulement de l’âge et de l’expérience de l’institutrice, mais encore et surtout du rang social de la famille où elle est entrée. Je laisse de côté celles, en assez petit nombre, qui reçoivent, dans les familles riches, un traitement assez élevé ; je ne pense qu’à la petite institutrice, dans un milieu bourgeois. Douze cents francs est déjà une rémunération élevée. Quinze cents francs est un maximum rarement dépassé, et, comme il y a certaines obligations de toilette et de tenue, ce que chacune peut mettre de côté s’élève à peu de chose.

Celles-là, cependant, sont les privilégiées. Celles qui sont vraiment à plaindre, ce sont les sous-maîtresses dans les pensionnats laïques, ou, ce qui est plus rare, bien qu’on en rencontre quelquefois, dans les couvens. Elles ne touchent guère plus de cinquante à soixante francs par mois, qui passent en frais de toilette. Parfois même elles sont ce qu’on appelle au pair, c’est-à-dire qu’elles sont nourries, logées, habillées, et ne touchent absolument rien. Vraiment, même dans un couvent, c’est trop peu.

En comparaison avec la vie de l’employée et surtout de l’ouvrière, la vie de l’institutrice est cependant assez douce. Elle ne connaît point ces intermittences de travail, qui, pendant quelques semaines, exténuent l’ouvrière, et, pendant quelques autres, la laissent oisive. Elle est à l’abri de la morte-saison. En échange de son indépendance sacrifiée, elle a le vivre et le couvert toujours assurés. Elle ne connaît point l’angoisse du loyer à payer, ni celle de l’ouvrage à trouver. Matériellement, elle est heureuse. L’instant critique, c’est quand l’emploi qu’elle occupait vient à lui manquer, soit brusquement par un renvoi, motivé ou non, soit par le départ de la famille ou le mariage de l’élève. Si l’institutrice a encore ses parens, le mal n’est pas grand. Ce n’est qu’un moment difficile à passer. Elle revient dans le petit intérieur où s’est écoulée sa jeunesse. On ne l’y voit pas toujours revenir de très bon œil. Sa place y a été prise. Il faut dresser un lit de sangle pour elle dans la chambre de sa sœur, ou dans la salle à manger. Mais souvent, ce n’est qu’un temps à passer. Par le même bureau ou par les mêmes recommandations, elle pourra trouver une nouvelle place. Si l’attente est longue, du moins elle n’est pas trop pénible.