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pivot. L’argument s’inspirait d’une trop haute raison pour ne pas impressionner Richelieu ; sa générosité naturelle ne cherchait d’ailleurs qu’un prétexte pour se soustraire aux influences qui l’avaient paralysée. Il se laissa fléchir et n’exigea qu’un séjour de deux ou trois mois à la Grave. Il croyait maintenant arriver sans peine à reconstituer le cabinet tel qu’il était précédemment, avec Decazes en moins et le ministère de la Police supprimé. Il avait même décidé de s’accommoder du maréchal Gouvion-Saint-Cyr, en dépit de leurs dissidences antérieures.

Mais, ses desseins à peine connus, les difficultés surgirent. Le Maréchal, Roy et Pasquier déclarèrent qu’ils ne resteraient pas sans Decazes. Lainé lui-même, pris d’un scrupule tardif, s’avisa que, quoique partisan d’une réforme électorale, il serait mal venu à la défendre devant des Chambres auprès desquelles il avait plaidé pour la loi qu’il s’agissait de modifier et qui était son œuvre. Le 25, la combinaison rêvée par Richelieu était abandonnée. Impuissant à en imaginer une autre, il invitait le Roi à recourir à ce même Decazes dont, la veille encore, il condamnait le système comme fatal à la monarchie[1]. Le Roi céda sans enthousiasme. Il commençait à comprendre qu’en l’état des choses, mieux valait pour Decazes laisser, pour un temps, le gouvernement à la droite et qu’il assurait ainsi son retour à brève échéance. C’était l’avis formel de l’intéressé. Aussi se hâta-t-il d’écarter les propositions qui lui furent faites. A ceux qui avaient ouvert la crise incombait le devoir d’y mettre fin. Richelieu devait tenter la formation d’un ministère entièrement nouveau. Une lettre du Roi, en date du 26 décembre, démontre que cette perspective ne lui souriait qu’à demi et que le consentement qu’il donnait lui était en quelque sorte arraché : « Mon premier mouvement en lisant ta lettre a été de dire : Non, courons plutôt la chance de Talleyrand. Puis, j’ai réfléchi à ce qu’il est, à l’infernale séquelle qu’il amènera avec lui, et je suis revenu à ton avis. »

La nouvelle combinaison essayée par Richelieu ne devait pas mieux réussir que la précédente. Il venait, au bout de vingt-quatre heures, avouer au Roi que toutes ses tentatives pour former un ministère de pure droite avaient échoué. Le Roi accepta cette fois la

  1. Il lui avait cependant écrit, le 2 décembre : « Vous êtes le plus nécessaire de nous tous, si ce n’est aujourd’hui, au moins ce sera dans trois mois. Il y aura bien quelques difficultés, mais il faudra tâcher de les vaincre. — Mille tendres amitiés. »