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Mérowig, où se trouve une longue scène, que je me rappelle de loin, admirable de mélancolie et de grandeur. Mérowig, errant, proscrit peut-être, s’est endormi la nuit sur la neige des champs. Le matin, passent des paysans, qui le réveillent et l’interrogent. Il leur répond qu’il cherche la demeure de sa bien-aimée et les supplie de l’y conduire. Mais, si j’ai bonne mémoire, comme celle qu’il leur nomme est la reine et que lui-même est méconnaissable sous ses haillons, ils le méconnaissent en effet. Incrédules, ou ne croyant qu’à sa folie, ils se retirent en chantant la beauté blanche de l’hiver. Et c’est vraiment très douloureux, très pathétique, le contraste de cette retraite lente, de ce froid abandon, avec l’ardeur et le désespoir de cet amour incompris et abandonné. Dans une lettre qu’il me fit récemment l’honneur de m’écrire, M. Samuel Rousseau me priait « de ne pas préjuger de la Cloche du Rhin par Mérowig » et de ne voir dans son œuvre ancienne que l’ébauche ou l’annonce de son style ou de son « système » nouveau. Mais il n’est pas bien sûr que M. Samuel Rousseau se connaisse lui-même et, malgré le très grand mérite de la Cloche, le beau fragment de Mérowig témoigne peut-être encore d’un effort plus soutenu, plus noble et plus heureux.

Dans la Cloche du Rhin le musicien ne s’est pas mis seulement tout entier : il y a mis un peu de tout, et c’est par-là qu’il semble bien avoir contenté tout le monde. Que nous parlait-il de « système ? » Il est le moins systématique des hommes, et les moyens ou les procédés les plus divers se rencontrent dans son œuvre et ne s’y contredisent point. Dans la Cloche du Rhin, il y a des leitmotive et il n’y en a pas. M. Rousseau m’en avait annoncé six ; j’en trouve un de plus que je n’espérais. C’est peu de chose, et la table thématique d’un Fervaal est autrement chargée. C’est assez pourtant, et M. Rousseau n’a pas tort d’estimer qu’ « avoir trente leitmotive équivaut à n’en avoir pas un. » Il a raison encore, se servant du leitmotiv, de ne s’y point asservir et au besoin de s’en priver ; de ne pas sacrifier à l’élaboration des thèmes, à la mosaïque et à la micrographie musicale, la liberté, l’ampleur de la forme, les lignes générales et les grands partis pris.

En matière d’instrumentation, d’harmonie et même d’enharmonie, M. Samuel Rousseau n’a rien épargné non plus. Prodigue de modulations, d’accords audacieux, il ne l’est pas moins de sonorités éclatantes. En écoutant cet orchestre rugir, hurler ce vieil énergumène de Hatto, et vociférer la prêtresse Liba, je rêvais à la douceur que ce serait d’entendre un opéra tempéré, sans fracas ni violence. Il ferait peu de bruit et beaucoup de bien. On n’y verrait plus de barbares, plus