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des fonctionnaires d’un rang élevé. On transigea sur une formule ainsi libellée : « Le choix du haut commissaire, chargé de l’exécution des réformes, devra être approuvé par les puissances. » Les ambassadeurs furent autorisés à présenter au sultan leur travail ainsi amendé. Les ministres ottomans ne jouant plus qu’un rôle effacé depuis que la direction des affaires avait été transférée au palais[1], cette communication fut faite, le 14 mai, directement au souverain. Acceptant de négocier lui-même avec les représentans étrangers, Abd-ul-Hamid leur fit bientôt savoir, par l’un de ses secrétaires, « qu’il étudiait leur projet avec diligence, que beaucoup de choses lui semblaient bonnes, que certaines autres demandaient à être discutées, mais qu’en tout cas il ne tarderait pas à leur faire connaître sa réponse. » Cette réponse vint en effet, non pas sous la forme d’un examen des propositions des ambassadeurs, mais sous celle d’un contre-projet, et voici ce qu’en pensait M. Cambon : « Le projet de réformes, écrivait-il dans une dépêche du 5 juin, préparé par les conseillers du sultan et remanié plusieurs fois depuis trois semaines, est un travail informe, ne contenant aucune disposition sérieuse et n’offrant aucune garantie. Nous avons résolu, mes collègues et moi, de faire savoir demain, à Sa Majesté, que son projet ne constituait même pas une base de discussion[2]. » Le sultan écartait donc le plan rédigé par les diplomates et y substituait une œuvre destinée uniquement à jeter la confusion dans le débat et à entraver les vues des puissances.

Cependant, à ce moment même, le champ des négociations s’élargissait pour en faciliter l’accès à celles des puissances qui, jusque-là, n’y avaient pas participé. Soit que le constant accord de la France et de la Russie, depuis l’ouverture de ces pourparlers, eût éveillé ses susceptibilités, soit qu’il eût jugé plus utile de réunir tous les grands gouvernemens de l’Europe en un seul faisceau pour exercer sur l’esprit du sultan une action plus efficace, le

  1. Voici ce que M. Cambon écrivait à ce sujet, le 17 juin 1895 : « On peut dire que, depuis quatre ans, le gouvernement a été transféré de la Porte au Palais. Les fonctionnaires de tout ordre ne relevaient plus de leurs ministres respectifs ; ils correspondent directement avec les secrétaires du sultan... Ce mode de gouvernement devait forcément mettre en cause la personne même du souverain et le charger de toutes les responsabilités. Qu’un incident surgît, Abd-ul-Hamid était obligé d’en répondre personnellement. Cet incident s’est présenté en Arménie, et le sultan s’est trouvé tout à coup dans la position d’un accusé sans moyens de défense. « Livre Jaune, p. 77.
  2. Livre jaune, p. 75.