Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
X

LE BONHEUR



Pour apaiser l’enfant qui, ce soir, n’est pas sage,
Lydé, cédant enfin, dégrafe son corsage
D’où sort, globe de neige, un sein gonflé de lait.
L’enfant, calmé soudain, a vu ce qu’il voulait,
Et de ses petits doigts pétrissant la chair blanche
Colle une bouche avide au beau sein qui se penche.
Lydé sourit, heureuse et chaste en ses pensers.
Et si pure de cœur sous ses longs cils baissés !...
Le feu brille dans l’âtre ; une flamme au passage
Parfois d’un reflet rose inonde son visage,
Cependant qu’au dehors le vent mène un grand bruit...
L’enfant s’est détaché, mûr enfin pour la nuit,
Et, les yeux clos, s’endort d’un bon sommeil sans fièvre
Une goutte de lait tremblante au coin des lèvres.
La mère, suspendue au souffle égal et doux,
Le regarde étendu tout nu sur ses genoux ;
Et, gagnée à son tour au grand calme qui tombe.
Incline son beau col flexible de colombe ;
Et, là-bas, sous la lampe au rayon studieux,
Le père au large front, dont l’âme est près des dieux,
Laissant le livre antique, un instant considère.
Double miroir d’amour, l’enfant avec la mère,
Et dans la chambre sainte, où bat un triple cœur,
Adore la présence auguste du bonheur.


ALBERT SAMAIN.