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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/864

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trépas, et fini leur brève carrière dans quelque casserole, ou dans un tonneau de saumure.

Ce n’est point là de l’imagination, est-il besoin de l’ajouter ? et ce qui le prouve c’est que, dès l’année 1879, un an après l’expérience qui vient d’être relatée, les pêcheurs de Gloucester furent grandement surpris en rencontrant dans le port même de petites morues de la variété que d’habitude ils ne rencontraient qu’au large. Pleins de méfiance et d’ironie à l’égard des entreprises des terriens, les pêcheurs avaient douté de l’utilité de la tentative : qu’est-ce que ces habitans du plancher aux vaches pouvaient bien connaître à la morue, et quelle était cette prétention d’en fabriquer dans des bocaux ?

Ils eurent bientôt changé de ton. Les petites morues étaient bien là, et c’était assurément la morue des bancs, celle dont ils avaient rapporté des individus destinés à l’expérience. Ils ne les renièrent point : bien mieux, ils leur servirent de parrains, et les petites morues reçurent le nom de « morues de la Commission. » Et encore, s’il est permis d’anticiper, un pêcheur de la même localité donnait, en 1882 et 1883, des détails intéressans sur ces mêmes poissons. Il racontait avoir, avec autant de satisfaction que de surprise, trouvé des morues en abondance dans les parcs où il venait prendre du poisson pour servir d’appât à ses casiers à homards : chaque jour il en trouvait une centaine de livres, alors que précédemment il n’avait jamais trouvé la morue en une telle abondance, et que, surtout, il n’avait jamais, jusque-là, rencontré la morue des bancs, ou morue grise, très distincte de la morue de roche qui fréquente habituellement la côte.

L’expérience de 1878 avait réussi. On ne pouvait deviner quelles conséquences elle aurait ; mais on savait comment s’y prendre pour opérer en grand. Le problème était en partie résolu. On recommença donc en 1879. Je ne vais pas narrer en détail ce que fut l’œuvre de cette année, ou des années subséquentes, mais j’indiquerai sommairement les progrès réalisés. En 1879, on produisit douze millions d’alevins, à Gloucester, et on constata aussi ce fait important que des œufs fécondés peuvent être sans inconvénient transportés à vingt-quatre heures de distance, par chemin de fer, à condition de les placer dans des bonbonnes d’eau, remplies aux deux tiers, et entourées de glace pilée. Ceci revient à dire qu’il n’est point indispensable de posséder sur place l’espèce que l’on veut propager : il suffit qu’on la trouve à une distance