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ne l’accableront point ; — et le lieu enfin où je parle, à deux pas de son berceau et à quatre pas de sa tombe.

Il est vrai que, comme je devais m’y attendre, toutes les raisons, ou presque toutes, que vous pouvez avoir d’être fiers de Chateaubriand, ici, à Saint-Malo, et dans votre Bretagne entière, on vous les a données. M. de la Borderie, le patient, le savant, l’exact historien de votre grande province, vous les rappelait encore il n’y a qu’un instant. Qu’y pourrais-je bien ajouter ? Et, — avec une autorité d’expérience que je n’ai pas, n’étant pas Breton moi-même, — quand on vous a dit que Chateaubriand avait fait passer dans son œuvre tout ce que la terre de Bretagne, ses grèves et ses landes, ont de charme doux, mélancolique et prenant, que reste-t-il encore à dire, ou à faire ? Il reste, si je le puis, à préciser ce que M. de la Borderie, et avant lui M. de Vogüé, et ce matin le Père Ollivier n’ont voulu qu’indiquer d’un trait ; il reste à parler en critique ou en historien de la littérature ; et, par exemple, il reste à montrer ce qu’il y a eu d’original, de hardi, d’absolument neuf en son temps, à faire entrer, comme Chateaubriand, toute une grande province, avec sa physionomie particulière et locale, dans le domaine déjà si riche alors de la littérature française.

Essayons de nous en rendre compte. Lorsqu’il y a de cela quelque cent cinquante ou deux cents ans, un Lesage, l’auteur de Gil Blas, qui était de Sarzeau, ou un Duclos, l’auteur des Considérations, qui était de Dinan, débarquaient à Paris par le coche, quel était en effet leur premier soin, et le plus pressant ? sinon de dépouiller en quelque sorte leur province ; de prendre, autant qu’ils le pouvaient, l’air de la grande ville, le ton du beau monde, ses ridicules au besoin ; et d’étonner finalement par l’excès de leur « parisianisme » les Parisiens de Paris eux-mêmes. Rougissaient-ils donc de leur origine ? ou pensaient-ils que ce fût une infériorité que de n’être pas né sous les piliers des Halles ? Je ne le crois pas ; mais, en ce temps-là, la mode était de ressembler à tout le monde. Corneille était Normand et Racine était Champenois : nous en douterions-nous, si nous ne le savions ? et que trouvez-vous de si « champenois » dans Andromaque, ou de si « normand » dans Polyeucte ? C’est différent, quand on est prévenu. Quand on sait que Bossuet était de Dijon, on discerne aisément des traits de ressemblance, des rapports intimes, des analogies profondes entre le caractère de son éloquence, et « les airs, les eaux et les lieux » de Bourgogne. On a peut-être plus de peine à reconnaître un Gascon dans