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mais je voudrais les mettre près d’elle. Elle aimait cet arbre.

« La sœur la conduisit auprès de la morte. Et quand les branches furent répandues sur le lit, dont elles firent comme une vision du printemps, Laura s’agenouilla, un instant, jeta un rapide coup d’œil autour de la chambre, puis referma la boucle de son manteau.

« — Chère Miss Fountain, dit sœur Rosa, ne restez pas trop longtemps dehors ! Et quand vous rentrerez, laissez-moi vous donner des vêtemens secs, et vous préparer un peu de thé chaud !

« Laure y consentit, d’un signe de tête.

« — Adieu ! dit-elle d’une voix à peine distincte. Puis, doucement, elle embrassa sœur Rosa, et aussi l’autre religieuse, sœur Marie-Raphaël, qui la connaissait à peine, et fut sans doute surprise de sentir le contact de ces petites lèvres glacées.

« Elles la virent sortir de la chambre, et une vague inquiétude les conduisit vers la fenêtre, d’où elles aperçurent Laura traversant le jardin pour aller dans le parc. Elle marchait lentement, la tête baissée. Elle parut s’arrêter devant le premier banc, au tournant de la rivière : au-delà, le chemin descendait, et faisait un coude. Les deux sœurs ne la virent plus : elles ne la virent jamais plus. »


IV

Tel est ce roman, le meilleur et le pire qu’ait écrit Mrs Humphry Ward. Il abonde en délicats paysages, en traits de mœurs agréablement notés, en scènes dramatiques du plus bel effet ; mais, ni dans Robert Elsmere, ni dans David Grieve, ni dans Marcella, l’auteur n’a poussé aussi loin sa fâcheuse habitude de « rapetisser les grandes questions » — tenuare magna — en les subordonnant à de menues anecdotes.

Non que, d’une façon générale, nous refusions d’admettre la possibilité du roman à thèse. Nous croyons volontiers, au contraire, qu’il y a certaines thèses morales à qui un récit peut fort bien servir d’illustration, sinon d’argument. Et nous aurions trouvé légitime, par exemple, qu’un romancier nous fît voir les obstacles que risque d’apporter à l’amour le désaccord des sentimens religieux, ou qu’il nous montrât comment, sous l’effet de circonstances spéciales, les plus nobles croyances en arrivent parfois à se déformer, à devenir ce qu’est devenu le catholicisme pour Alan