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— au fort des controverses excitées jusqu’en Europe par la publication de la Vie du Père Hecker, — on leur a demandé, avec une ironie mêlée d’indignation, ce que c’était que ces « autres objets, » et ces « vertus nouvelles » qu’ils proposaient au catholicisme. Est-ce que par hasard ils estimaient qu’un homme nouveau fût né sur le sol d’Amérique ? ou s’ils croyaient peut-être que l’Eglise eût jusqu’à eux mal rempli sa tâche ? Non ! mais ils ont voulu dire que leur soumission au Saint-Siège étant absolue ; que Rome étant toujours là pour les ramener dans la voie droite, s’ils s’en écartaient ; qu’une seule parole du Souverain Pontife suffisant, en toute matière, à définir la vérité du dogme, ils pouvaient essayer d’approprier ou d’adapter le reste aux circonstances, aux hommes, et aux lieux. Les siècles précédens ont agi comme si la vérité catholique n’était pas encore « faite » ou du moins « achevée ; » et, en un certain sens, elle ne l’était pas, puisqu’on cas de controverse, on disputait toujours de l’autorité à laquelle il appartenait d’en fixer la définition. Au fond de toutes les grandes querelles, théologiques ou métaphysiques, — et nos gallicans ou nos jansénistes, sans remonter jusqu’au moyen âge, en pourraient servir de preuve, — il y avait toujours, de l’opinion du Pape à la décision du « futur » concile, comme un appel respectueux et latent. On n’abdiquait jamais toute espérance de vaincre. Les questions étaient suspendues, ou interrompues pour un temps, elles n’étaient pas terminées… Mais précisément, c’est ce qu’il n’est plus aujourd’hui permis de dire, ni surtout de penser, quand on est catholique ; et précisément aussi, c’est ce que les catholiques d’Amérique ont admirablement compris, qu’en les rendant eux-mêmes tout entiers à leur temps, et en les libérant, pour ainsi parler, de toutes les contraintes, hors une seule, la proclamation d’un seul dogme fermait une époque de l’histoire du catholicisme, — et en ouvrait une autre.

C’est à ce point de vue qu’il nous faut également nous placer si nous ne voulons pas nous méprendre sur leur individualisme. Il n’y a guère aujourd’hui de mot, on le sait, sur le vrai sens duquel on ait plus de peine à s’entendre, même entre gens de bonne volonté, que ce mot d’Individualisme, si ce n’est celui de Socialisme, quoique d’ailleurs ils signifient le contraire l’un de l’autre, qu’on les ait inventés pour les opposer l’un à l’autre et qu’on ne puisse éviter de choisir entre l’un et l’autre. Qu’y a-t-il cependant de dangereux dans l’individualisme ? En principe une