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les taons et les moustiques, ces féroces moustiques, plus gros que les nôtres, qu’on appelle des maringouins. Leurs persécutions sont telles qu’on aime mieux travailler à minuit, le ciel restant clair, qu’à midi. Après l’automne, tout change : l’obscurité alors est constante ; le soleil, en décembre, ne fait qu’apparaître et disparaître. La neige tombe à gros flocons et couvre tout d’un lourd manteau blanc. Un mètre de neige, c’est un minimum : souvent il y en a le double et quelquefois le triple. Après quelques dernières fluctuations de température, le froid se met à sévir avec une terrible intensité : 40 degrés au-dessous de zéro, c’est effrayant, et, presque tous les ans, ce niveau est dépassé. Dans de telles conditions la vie humaine devient vraiment un douloureux problème.

Dawson City n’en existe pas moins et se développe de jour en jour. Elle a eu pour fondateur et elle a en grande partie pour maître ce Joseph Leduc, que nous citions tout à l’heure et dont le patois local a fait Joseph Ladue, nom désormais célèbre. Leduc ou Ladue était un simple faiseur d’affaires, petit commissionnaire et petit industriel, qui allait promenant de place en place son comptoir et sa scierie. Les planches dont les arbres de la rive, sapins, épinettes, peupliers, lui procuraient la matière première servaient à fabriquer pour les mineurs des cabanes, des bateaux, des outils… De Sixty Mile il avait, en septembre 1896, descendu le Yukon jusqu’à l’embouchure du Klondyke. Il arrivait au bon moment. Les allans et venans commençaient à être nombreux. Au 1er janvier 1897, Ladue n’avait encore mis à leur disposition que trois ou quatre baraquemens. Avec le printemps arriva un flot d’immigrans et, fin mai, dix nouvelles façades de bois brut s’alignaient sur la berge, de simples tentes abritant le surplus d’une population de six cents âmes. Déjà les débits de boissons s’ouvraient ; les maisons de jeu aussi. Le jeu est l’éternelle tentation, l’écueil éternel des mineurs. On en voyait accourir, tout crottés, qui, pour « visiter la ville, » avaient sur eux 15 ou 20 000 francs de poudre d’or : la visite finie, il ne leur restait rien.

Le 2 juin 1897, Dawson, pour la première fois, entendit le sifflet d’un bateau à vapeur. La Bella amenait de Fort Yukon et de Circle City 450 tonnes de fret et 225 passagers. La Compagnie commerciale de l’Alaska, propriétaire du bateau, prit à Ladue, séance tenante, son petit casernement, y ouvrit boutique, fit le jour même 30 000 francs d’affaires et annonça aussitôt qu’elle allait bâtir : elle s’est construit, en effet, quatre magasins de bois