petite maison confortable de Thoreau qu’il quitta pour aller à la porte de chez lui se nourrir de racines, travailler de ses bras et coucher à la belle étoile, je ne puis refuser mon estime à la loyauté de l’intention, d’autant plus qu’elle eut pour suite des « livres de plein air » qui ont fait profiter toute une génération des deux années de vie primitive dont voulut goûter leur auteur.
Le vieux puritanisme de la Nouvelle-Angleterre, si étranger à tous nos instincts et qu’Emerson perça de si larges fenêtres pour y faire entrer l’air et la lumière, m’est apparu plus vivant qu’ailleurs à Salem, la cité mère du Massachusetts. Un nuage noir semble peser à tout jamais sur la colline sinistre où se dressa le gibet des sorcières, où se manifesta le moyen âge américain qui rappelle singulièrement le nôtre, à la grande poésie près.
Superstitions, tortures, envoûtemens, sortilèges, excommunications, rien ne manqua du reste pour remplir de ténèbres et d’horreur l’année 1692. Rappelons-nous que le procès d’Urbain Grandier avait lieu en France un peu plus tôt seulement, avec l’approbation pleine et entière du cardinal de Richelieu ; n’importe, il est à noter que les protestans ne sont jamais restés au-dessous des catholiques sur le chapitre du fanatisme. En Amérique, ils les dépassèrent même de beaucoup ; on chercherait vainement dans les annales du Canada des exemples semblables.
La lettre tue, c’est le cas de le dire, puisqu’un texte de la Rible, tant de fois lue, relue, scrutée et commentée, dit formellement : — Tu ne permettras pas à un sorcier de vivre. — Là-dessus, de sages gouverneurs, de savans théologiens firent sans remords dresser des potences.
Tout le monde connaît l’histoire lamentable des sorciers de Salem, comment, sur la dénonciation de huit petites filles dont plusieurs déclarèrent plus tard avoir été folles ou avoir « parlé pour rire, » vingt innocens furent livrés à la corde, sans compter ceux qui succombèrent en prison. Les médecins d’aujourd’hui reconnaîtraient dans les illusions et les convulsions des « enfans affligés » un cas bien caractérisé d’hystérie, joint au besoin de se distraire un peu, de faire du bruit, de rompre la monotonie de cette existence austère, étouffante, où la gaîté, même honnête,