caractère essentiel de l’incrédulité ; et ce phénomène, le voici. Quiconque en notre temps a secoué l’autorité de la croyance légitime, ce n’est pas un incroyant que nous l’avons vu devenir, — et bien moins encore un libre penseur, un penseur libre et indépendant, — mais c’est un anti-croyant, pour ne pas dire un fanatique ; et pas une doctrine en nos jours n’a momentanément triomphé de la religion qu’en se donnant à elle-même l’apparence d’une religion. Les exemples en seraient innombrables ; car de quoi, et de qui, ce siècle finissant ne s’est-il pas fait une idole ? Il s’en est fait une de la Science, et il s’en est fait une du Progrès ; on l’a vu se faire une religion de l’Art, et on l’a vu s’en faire une de la Démocratie. Rappelez-vous les vers sonores, magnifiques, et quelque peu inintelligibles, d’Hugo :
- Oui, c’est un prêtre que Socrate,
- Oui, c’est un prêtre que Caton ;
- Quand Juvénal fuit Rome ingrate,
- Nul sceptre ne vaut son bâton.
- Ce sont des prêtres, les Tyrtées,
- Les Solons aux lois respectées,
- Les Platons et les Raphaëls !
- Fronts d’inspirés, d’esprits, d’arbitres,
- Plus resplendissans que les mitres
- Dans l’auréole des Noëls !
Maintenant, depuis quelques années, nous avons inventé la « religion de la souffrance humaine, » et celle de la « solidarité. » Oui, nos hommes d’Etat, tout récemment, après bien de la peine, ont découvert que nous ne formions tous ensemble qu’une seule famille ; et, depuis qu’ils l’ont découvert, c’est depuis ce temps-là que nous échangeons entre nous plus d’injures et de coups que nous n’avions jamais fait… Rara concordia fratrum !
Et ne me dites pas qu’on ne parle ainsi que par métaphore, ou bien je répondrai qu’alors, comme le besoin crée son organe, ainsi ces métaphores ont créé leur objet. Mais il n’y a pas ici de métaphore ; et en réalité, pour agir sur les esprits, et surtout sur les volontés, on a compris qu’il fallait imiter l’allure de la religion ; on a compris que, pour pouvoir quelque chose contre elle, il fallait d’abord essayer de lui ravir ses propres moyens d’action ; et justement c’est là ce qu’il y a d’intéressant. L’application est fausse, et l’imitation n’est qu’une caricature ou une parodie ! Soit ! Mais quelques bonnes âmes n’ont pas laissé pourtant de s’y prendre, et, la satisfaction qu’on leur avait enlevée, leur besoin de croire l’a consciencieusement, naïvement