Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« d’enfler ses joues. » C’est qu’il accompagne le canticum, et que les pièces anciennes, surtout celles de Plaute, se composent principalement de cantica.

Que voulait-on dire par ce mot ? Essayons d’en donner une idée, autant qu’on peut le faire quand on veut ménager le lecteur et lui épargner des explications trop scientifiques.

Le drame romain comprenait une partie parlée et une partie chantée. On voit donc que ce mélange des paroles et du chant, dont quelques critiques se moquent dans notre opéra-comique, remonte loin. Il est vrai que, chez les anciens, la différence entre le chant et les paroles était moins marquée qu’aujourd’hui. Le chant n’était guère alors qu’une sorte de mélopée qui faisait mieux sentir le rythme des vers, la suite des longues et des brèves, l’alternance du temps fort et du temps faible ; par conséquent, la parole chantée était, en somme, assez voisine de la parole parlée, et l’on devait passer de l’une à l’autre aussi facilement qu’on passe, dans l’opéra italien, du récitatif à la cavaiine. La différence entre les deux, chez les Romains, tenait surtout à la nature des vers qu’employait le poète ; les uns étaient faits pour être chantés et les autres simplement récités.

La poésie française est pauvre ; elle a surtout cet inconvénient que les poètes y sont réduits à se servir, dans des genres tout à fait différens, l’épopée, la satire, le drame, du majestueux et monotone alexandrin, qui ne peut pas pourtant suffire à tout. Les anciens, plus heureux que nous, possédaient un vers particulier, qu’ils réservaient au dialogue dans leurs pièces de théâtre. Ils l’avaient choisi, nous dit Aristote, par la raison qu’il était celui qui semblait revenir le plus souvent dans les conversations ordinaires, où l’on fait quelquefois des vers sans le vouloir. C’était, pour lui donner son nom savant, le trimètre iambique. Les Latins, qui le leur avaient emprunté, l’appelaient senariiis, parce qu’en réalité, il avait six pieds[1]. Ce vers, un peu moins long et plus familier que l’hexamètre dactylique, que l’épopée s’était approprié, plus alerte aussi et plus souple, semblait, par son rythme marqué, fait pour l’action[2] et convenait parfaitement au drame.

  1. Les Grecs appellent ce vers trimètre parce qu’en le scandant, ils réunissent deux pieds en un. Il était un peu moins long que l’hexamètre dactylique, quoiqu’il eût six pieds comme lui, parce que les pieds qui le composent essentiellement sont plus courts que le dactyle.
  2. Natum rebus agendis, dit Horace.