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extrêmement aux consuls anglais et américains, mais elle provoqua les protestations véhémentes du consul allemand, M. Rose. Il ne s’agissait pas, disait celui-ci, de savoir dans quelles conditions Mataafa avait été mis sur le trône ; le fait était accompli et avait été consacré par les trois consuls, à titre provisoire sans doute, mais enfin jusqu’au jour où le gouvernemens auraient décidé de son sort. En attendant, il était roi légitime. M. Rose annonça l’intention de le défendre, et n’hésita pas à lancer une contre-proclamation destinée à combattre ou à détruire l’effet de celle de l’amiral Kautz. Il semble bien qu’en droit strict, M. Rose avait raison ; mais, en fait, il prenait une grave responsabilité, celle de recommencer la guerre civile, sans pouvoir d’ailleurs assurer à son candidat les moyens de la soutenir contre les forces de Tanou, ouvertement aidé, cette fois, par les Anglo-Américains. Sa contre-proclamation mit aussitôt le feu aux poudres. Devant la résistance de Mataafa, les Anglo-Américains allèrent tout de suite aux dernières extrémités : leurs navires embossés dans la rade d’Apia bombardèrent la ville. Il y eut beaucoup de sang versé, surtout parmi les indigènes : on doit croire, en effet, d’après le bruit qu’on a fait en Amérique et en Angleterre de trois soldats américains et d’un soldat anglais qui ont été tués à la porte de leurs consulats, qu’il n’y a pas eu d’autres victimes européennes. Ces événemens, qui se passaient le 15 mars, se sont prolongés les jours suivans. Il y a eu des scènes de barbarie qui ont soulevé des protestations unanimes, les Samoans ayant la sauvage habitude de couper les têtes de leurs ennemis et de les porter en triomphe.

Si, à ce moment, le gouvernement allemand avait manqué de sang-froid, les pires conséquences auraient pu en résulter. Il avait, ce semble, des griefs sérieux à faire valoir. La manière dont Mataafa avait été renversé était sans doute irrégulière; mais, d’autre part, l’attitude de M. Rose avait été bien imprudente, et on assure que le ton de sa proclamation rendait cette imprudence plus coupable. C’est sur lui que les Anglais et les Allemands ont fait retomber tout le sang versé, en assurant que, sans ses encouragemens, Mataafa se serait soumis et que tout se serait terminé sans violences. Cela est possible, et même vraisemblable; mais les choses se seraient passées plus pacifiquement encore, si les trois consuls, fidèles à l’engagement qu’ils avaient pris, avaient attendu les instructions de leurs gouvernemens, et si les Anglo-Américains n’avaient pas eu, les premiers, recours à la force brutale. Au reste, nous racontons, nous ne jugeons pas. Le gouvernement allemand ne fit aucune difficulté à dire que, si M. Rose avait commis des