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contestation, que continuer la guerre après le passage du Mincio et les premières incursions dans le Tyrol, c’était amener en peu de jours les hostilités sur le Rhin[1]. Comment les historiens italiens ont-ils pu le nier, après la déclaration maintes fois répétée du gouvernement prussien « qu’il allait poursuivre une médiation armée ? » En tous temps, une médiation armée a été considérée comme une déclaration de guerre conditionnelle.

Aux témoignages des faits s’ajoute d’ailleurs celui des hommes. Le Régent, dans un ordre du jour à ses troupes (18 juillet), s’est vanté de son dessein : « Le danger qui menaçait alors est passé maintenant. Tandis que vous étiez en route pour vous rendre dans les positions assignées, les puissances belligérantes ont subitement conclu la paix. Par nos mouvemens en avant, nous avons démontré notre ferme résolution de garder intactes les frontières des contrées de l’Allemagne, quel qu’eût été le sort des armes. » Bismarck, plus tard, a confirmé cet aveu : « Lors de la guerre d’Italie, a-t-il dit dans son célèbre discours du 6 février 1888, il ne s’en fallut que de l’épaisseur d’un cheveu que nous fussions entraînés dans une grande guerre européenne de coalition. Nous en vînmes jusqu’à la mobilisation ; oui, très certainement nous aurions marché, si la paix de Villafranca n’eût pas été conclue. » Il renouvelle la même affirmation dans ses Mémoires[2] : « Sous l’influence de sa femme et du parti du Wochenblatt, le Régent, en 1859, fut sur le point de prendre part à la guerre d’Italie. S’il l’avait fait, la guerre, d’austro-française qu’elle était, serait devenue franco-prussienne sur le Rhin. » L’état-major prussien, dans son étude sur la campagne d’Italie, rédigée par Moltke, n’est pas moins explicite que le Régent et que Bismarck : « La courte durée de la campagne si inopinément terminée a bientôt déjoué pour nous la perspective d’une participation à la guerre. »

  1. Les historiens allemands le constatent. Voici ce que dit un des plus célèbres, Henri de Treitschke, dans son Essai sur Cavour : « Plus que toute autre raison prévalut le péril qui menaçait du Nord. La Prusse se disposait à suivre une impulsion généreuse, mais profondément impolitique ; épouvanté de l’accroissement démesuré de l’influence française, plein de fraternelle miséricorde pour l’allié de 1813. le Prince régent était prêt à prendre les armes pour les traités de 1815… Avec les réserves mal organisées de la France. l’Empereur n’était pas en état de soutenir avec probabilité de succès une attaque de l’Allemagne. Mais Cavour, que la longue inertie de la Prusse avait habitué à n’en pas estimer suffisamment la puissance, ne voulut pas accorder son juste poids à la raison déterminante du traité de Villafranca. »
  2. T. 1er, p. 315.