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On ne s’arrête pas. Avec la hâte silencieuse des soirs d’étape, nous avançons à grands pas vers des amoncellemens de sables bleus de lune et qui sont le barrage où nous allons camper. Bientôt nous sommes dans ces dunes perfides, où le cheval enfonce à mi-jambe, où les chameaux perdent pied sur le sol qui se dérobe. Des nuages sombres ont envahi le ciel, faisant la nuit plus obscure ; le vent du Nord s’élève, soufflant par rafales, glacé. Et voilà que nous ne voyons plus El-Ateuf, ni le barrage, et que nous marchons au hasard, glissant, trébuchant, en longue file échelonnée, jusqu’à ce que, de l’autre côté des dunes, nous retrouvions le terrain plat, nivelé par les eaux de l’année précédente et où nous campons.


Toute la nuit le vent veille, et sa grande plainte triste est un peu inquiétante au seuil de ces solitudes sans bornes où l’on se sent abandonné. Sous la petite maison de toile, si légère, si fragile et qui bat furieusement, on dort mal, avec la crainte obsédante de voir les rafales balayer la frêle demeure et de rester sans abri dans les souffles glacés, sous le regard froid des étoiles. Le sable tambourine sur la tente, les chameaux, sous la bourrasque, grognent, et de temps en temps des bouffées brusques de vent apportent les glapissemens lointains des chacals, suiveurs de caravanes, qui semblent des chiens pleurant à la mort. Et puis, pour nous qui ne sommes pas habitués encore aux gens de ces pays, il y a ces hommes à figures sinistres qui nous entourent et entre les mains de qui nous sommes…


2 Octobre.

Au matin, le vent est tombé et nous nous éveillons dans l’air limpide et ensoleillé. Le désert a repris ses aspects coutumiers, la splendeur rosée de ses sables, sa paix et son silence.

Nous commençons notre marche régulière. Le départ aura lieu chaque matin au lever du soleil et la marche se continuera, sauf une courte halte vers midi, sans interruption jusqu’à l’étape fixée, où nous arriverons plus ou moins tard dans la soirée, suivant la distance. Mauvais début aujourd’hui : l’étape sera longue et nous n’atteindrons, paraît-il, le puits de Zelfana que longtemps après le soleil couché.

Suivant l’habitude des Sahariens, pour qui le temps ne compte pas, on perd une heure avant de se mettre en marche. Tous les