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laissant à Crozat ses plus beaux dessins, « en reconnaissance de tous les bons services qu’il en avait reçus. »

Les nombreuses lettres adressées à la Rosalba, durant les années suivantes, par Crozat, Mariette, Rigaud, Charles Coypel, l’abbé Delaporte, abondent en renseignemens curieux sur la politique, les arts et les mœurs du temps. On ne saurait trop souhaiter que quelque nouveau Sensier tirât parti de ces documens, désormais accessibles au public, pour reconstituer dans son ensemble l’histoire des relations de la Rosalba avec ses amis et admirateurs parisiens. Bornons-nous, pour notre part, à citer une lettre de Coypel, où l’éloge est vraiment poussé jusqu’à l’extravagance :


Charles Coypel à Antoine Corrège, dit aujourd’hui Rosa Alba.

Mademoiselle, je vous dois un compliment, que je vous fais de tout mon cœur, sur la merveille que vous venez d’envoyer à M. le comte de Morville. Bien des gens, cependant, pourront croire que c’est me jouer un tour sanglant que d’envoyer un pastel de cette beauté dans un cabinet où les miens commençaient à s’étaler avec quelque succès. Je conviendrai avec eux que le vôtre fait perdre aux miens, en un instant, leur pauvre petite réputation : mais si votre dernier ouvrage détruit tous ceux que j’ai faits jusqu’à présent, je vous donne ma parole que ceux que je ferai à l’avenir seront meilleurs. Oui, mademoiselle, les beautés de ce charmant tableau m’ont frappé trop vivement pour qu’elles ne me soient pas profitables ; mais enfin si, par malheur, je me flatte d’une fausse espérance, je me tournerai d’un autre côté. Il faut que vos talens me fassent estimer de façon ou d’autre. Si je ne puis vous les voler, j’aurai du moins la gloire de les publier plus vivement que qui que ce soit, et ce n’est point une besogne si facile entre gens de même art. Permettez-moi de saluer toute la famille.


Pendant qu’on gardait ainsi à Paris le souvenir de son triomphal séjour, la Rosalba continuait à pratiquer son petit négoce, parmi toute sorte de deuils, de tristesses domestiques, et de soucis d’argent. Elle voyait mourir sa sœur Giovanna, sa vieille mère, son beau-frère Pellegrini : des jeunes filles qu’elle avait recueillies la quittaient pour se marier à l’étranger ; des cliens refusaient de la payer ; et déjà, pour comble de malechance, sa vue commençait à baisser un peu. Elle travaillait, pourtant, avec plus d’énergie qu’elle n’avait jamais fait, multipliant les portraits et les allégories, pour avoir de quoi subvenir à des charges sans cesse plus fortes. En 1723, elle se rendit à Modène, pour faire les portraits de trois jeunes princesses que leurs parents voulaient marier. Les trois portraits, portés de cour en cour, tirent le tour de l’Europe, sans qu’aucun d’eux réussit à procurer à son modèle