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L’existence de la bourgeoisie en tant que classe est inconciliable avec une amélioration profonde du sort des prolétaires. Toute réforme sociale ne ferait que retarder la délivrance. Il ne reste en perspective que le combat décisif. Qu’il soit conduit plus ou moins longtemps sur le terrain légal, il doit finir par une dictature du prolétariat, par une transformation révolutionnaire de la société, qu’on ne peut concevoir sans rupture avec le droit historique. La Révolution n’est pas en contradiction avec l’évolution ; elle en est le moment nécessaire.

Elle peut, selon Marx, se produire de trois manières : d’après la théorie des crises, un krach énorme, une catastrophe du capitalisme peut amener le prolétariat au pouvoir. Après avoir cru, en 1847, qu’on était à la veille d’un bouleversement universel, Engels prophétisait pour 1898 la débâcle définitive.

Ou bien encore, d’après la théorie de la concentration des industries et de l’accumulation des capitaux, la révolte du prolétariat suscitée par sa misère atteindra un tel degré, qu’avec l’arme du suffrage universel il réussira à conquérir le pouvoir politique, à établir sa domination.

Ou enfin, le socialisme sera le résultat d’un développement encore long, d’une concentration générale des industries, et, dans ce cas, la transformation sociale pourrait s’accomplir pacifiquement. Marx et Engels, et les socialdémocrates à leur suite, n’ont compté pratiquement qu’avec les deux premières hypothèses.

Ils sont très sobres d’indications précises sur la société de l’avenir. C’est là, aux yeux de Marx, un jeu puéril, la marque d’un esprit borné. La Révolution économique étant accomplie, l’infrastructure transformée, une nouvelle organisation de la famille, du droit, s’établira naturellement, comme le veut la théorie matérialiste de l’histoire. L’avènement d’une société sans classes, sans ces luttes et sans cet antagonisme que Marx considère pourtant comme la source de tout progrès, ce retour au communisme primitif mais industrialisé, ce n’est plus du matérialisme historique, remarque M. Sombart, c’est du prophétisme pur, le rêve d’un paradis perdu et retrouvé. Le marxisme finit en queue de chimère.

On remarquera combien les doctrines marxistes sont favorables à la propagande. D’une part, elles envisagent la société présente avec un pessimisme absolu ; elles affirment « le caractère