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à cette « paix forcée, paix de clercs et de Français, » prédisait qu’il en devait sortir plus de mal que de bien et reprochait au roi de France d’avoir « fait desmesure. »

Un autre[1], un peu plus tard sans doute, rapprochait tristement le passé du présent : « Hélas ! Toulouse et Provence, terre d’Argence, Béziers et Carcasses, quels je vous vis et quels je vous vois ! » Il reprochait aux Français leur avidité : « Nos barons les plus courtois crient humblement aux Français : « Sire, pitié ! » Oui, les Français ont pitié, mais quand ils voient la table mise. » Il peignait, en termes presque aussi violens que Cardinal lui-même, l’avarice effrénée des ordres militaires, « orgueilleux, simoniaques, dédaigneux de tous, sauf des riches, gens dont la trahison est le Credo. » Lui aussi, il manie cruellement l’ironie : « Je dois dire de vous grand bien, et j’en dirais le double si je le pouvais. La voie que vous tenez est droite et vous êtes d’excellens guides : vous ne vous laissez rien ; vous ignorez la convoitise, vous savez souffrir les privations… Que Dieu jamais ne me bénisse, si j’ai dit de vous la vérité ! »

Le comte de Toulouse, qui, au temps de sa plus grande puissance, n’avait pu résister aux Français, ne pouvait songer à recommencer seul la lutte, amoindri comme il l’était par le traité de Meaux ; aussi son objectif, dans les années qui suivirent, paraît-il avoir été de s’assurer de solides appuis. La politique la plus naturelle eût été pour lui de s’allier au comte de Provence, dont la succession était également guettée par la France, et de former un solide faisceau de toutes les forces méridionales. Mais le comte de Provence avait déjà été circonvenu par la diplomatie de Blanche de Castille, et sa fille était déjà fiancée au futur roi de France. Puis, à vrai dire, Raimon VII ne paraît pas y avoir songé : ce n’était point un politique à longues vues, et il eut le tort, pour la vaine satisfaction de vieilles rancunes, d’user ses forces pendant dix ans dans une lutte sans grandeur avec Raimon Bérenger. Il ne cessait, en revanche, de tourner les regards vers l’Aragon, où son père avait trouvé son unique allié. En 1241, il avait conclu un traité avec Jacques Ier. L’année suivante, une occasion parut s’offrir de secouer le joug et de réparer ses pertes. Sous l’impulsion de l’irascible et fougueuse Isabelle d’Angoulême, veuve de Jean sans Terre et femme de Hugues de Lusignan, une

  1. Bernar Sicart de Marvéjols, Ab greu cossire (dans Raynouard, Choix, t. IV p. 191).