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a quelque chose de vexant que vous comprendrez tout de suite. Hier est arrivé un courrier du 14 ; c’est la plus grande diligence possible. La poste de demain n’apportera même pas tant, et ce sera beaucoup si celle de dimanche apporte quelque chose de plus. Nous voilà donc pour plus de huit jours au même point, à moins d’un nouveau courrier. Mais dans l’état où sont les choses, je ne puis raisonnablement espérer qu’il apporte rien de bon. Ainsi, je me trouve dans le tourment d’ignorer, qui mérite bien d’être compté pour quelque chose, surmonté de la crainte d’apprendre. »

Ceci dit d’ailleurs, il revient aux réflexions que lui suggèrent certains faits intéressant Decazes, réflexions qui souvent, à vrai dire, sont, sous des façons affectueuses, des critiques et des avertissemens. C’est ainsi qu’il faut interpréter celles qu’il lui présente à la suite d’un voyage que le comte de Sainte-Aulaire et le comte d’Argoult ont fait à la Grave :

« Je conçois très bien le motif pécuniaire qui les a portés à voyager ensemble ; mais, je me permets de ne pas le trouver suffisant. Je ne parle pas des bêtises que cette réunion a fait dire, du nom de mission dont on la revêtue. De notre vivant, nous nous moquions des caquets. Quanto magis post necem ! Mais leur position à tous deux est différente[1]. Le sort de la loi sur les journaux n’est pas douteux ; il n’importe guère que la majorité soit de dix-neuf ou de dix-huit ; la bataille sur les élections ne commencera pas d’ici trois semaines. Ainsi, M. de Sainte-Aulaire avait par-devant lui tout le temps nécessaire. Il n’en est pas de même pour M. d’Argoult, non que j’aie la moindre inquiétude sur la loi de la liberté individuelle, mais celle des journaux a passé à une si belle majorité qu’il serait fâcheux que l’autre n’en eût pas au moins une pareille. Je suis chiche de voix. De plus, après ce qui s’est passé entre Fitz-James et d’Argoult[2], je suis fâché que celui-ci ait, comme on dit, l’air de fouiner. Enfin, dans votre intérêt qui est pour moi la première des considérations, j’ai quelque regret qu’ils soient venus et s’en retournent ensemble. »

Tout ce verbiage ne saurait être considéré que comme une mauvaise chicane, si l’on ne se rappelait de quels soupçons Decazes était l’objet de la part de l’ultra-royalisme et quelle terreur ils inspiraient à Richelieu, qui semble les avoir partagés dans une

  1. Sainte Aulaire était député et d’Argoult pair de France.
  2. Le duc de Fitz-James ayant violemment attaqué Decazes à la Chambre des pairs, d’Argoult s’était mis en avant pour répondre.