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des appartemens sobrement meublés, — comme ce que tente de réaliser M. de Nolhac à Versailles, — ajoutent fort à la valeur intrinsèque des tableaux. Le recueillement, la solitude y ajoutent aussi. Combien de toiles pieusement vénérées dans les collections particulières souffriraient d’être vues dans l’immense promiscuité de la Galerie du bord de l’eau ! Et si l’on va, au loin, étudier une seule œuvre à demi cachée au public, combien la distance franchie, le blocus forcé, la concentration des forces admiratives toutes fraîches sur un seul point, n’ajoutent-ils pas à l’impression qu’on ressent de sa beauté !

Bien plus, si l’œuvre est restée là où elle fut créée, dans le milieu qui l’a rendue possible et qu’elle a rendu célèbre, n’arrive-t-il pas qu’elle ramasse et réfléchit tous les souvenirs épars autour d’elle, comme une lentille fait les rayons ? Fra Angelico ne se découvre-t-il pas mieux dans la plus médiocre des cellules de son couvent que dans l’admirable Couronnement de la Vierge exposé, par le malheur des circonstances, à deux pas de la rue de Rivoli ? Combien de portraits de Rembrandt n’a-t-on pas vus dans les musées d’Europe, sans jamais ressentir l’impression que donnent les figures du bourgmestre Six et de sa femme, conservées dans la même famille depuis deux cent quarante ans, dans le vieux et petit salon de la Heerengracht, au bord de ce canal aux eaux égales comme ces âmes de bourgeois et ponctuées de feuilles fanées qui tombent en silence comme sont tombées jadis les heures sur ces vies, sans rien agiter ni ternir !… Quand on descend des lacs glacés du haut Dauphiné dans la vallée du Graisivaudan et qu’au hasard de la route on entre, faute d’autre spectacle, dans la petite église, cernée de treilles et de luzernes, du village de la Tronche, combien la Vierge orientale qu’on aperçoit au coin d’une chapelle avec son grave enfant songeur, le doigt sur la bouche, pénètre davantage dans l’imagination que des centaines de madones rangées dans les galeries Doria, Borghèse, ou Pitti ! Et que n’ajoutent pas l’humilité de ce décor et l’imprévu de cette rencontre au chef-d’œuvre d’Hébert, pieusement déposé en ex-voto, là où le vœu fut fait et là où il fut exaucé, là où il fut promis par le patriotisme et réalisé par le génie !

Mais ce n’est pas de tableaux qu’il s’agit ici. Car, quand on met un tableau dans un Musée, on n’en prive ni la rue, ni le jardin, ni l’église, ni la pièce d’eau. Il peut gagner beaucoup à certaines dispositions dans un salon, dans un château ou dans une