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surtout cette chaleur affectueuse de l’accueil, signalés par M. Garland. A côté des splendeurs purement matérielles, existent d’agréables et intelligentes coteries. Rose fera connaissance avec les unes et les autres, quoiqu’elle ne soit qu’une pauvre fille, ayant dix dollars à dépenser par semaine dans une modeste pension. Quelques lettres lui ouvrent toutes les portes, comme il arrive, et, sans argent, sans toilettes, elle triomphe par la seule force de sa beauté, de sa fière assurance. Il suffit qu’elle ait paru dans une loge à l’Auditorium en brillante compagnie pour que les invitations pleuvent chez elle. Mais elle se tient au-dessus de tout cela, elle cherche résolument autre chose. Du reste elle partage l’enthousiasme de Garland pour Chicago, elle voit avec ses yeux tout ce qu’il nous peint, les quartiers noirs de fumée, empanachés de vapeur, donnant, regardés d’en haut, — supposons d’un douzième étage, — l’idée de quelque volcan éteint dans les crevasses duquel grouilleraient des larves innombrables, autant d’hommes et de femmes ; et le parc magnifique, et les aspects si variés du lac, qui impressionne les habitans de l’intérieur comme le ferait la mer. Une certaine tempête sur ce lac et le naufrage qui suit est l’une des plus belles pages du livre.

Nous sommes tout à fait, pour notre part, de l’avis de l’auteur, quand il prend la défense de la jeune et grandissante cité contre les dédains de certains raffinés de l’Est. Se plaindre, dit-il, du manque d’atmosphère artiste de Chicago, c’est comme si l’on se plaignait de ne pas rencontrer de gondoles à Boston ! Ce n’est pas encore un centre d’art, sans doute, mais c’est un centre de vie et d’humanité extraordinaire, et quant à son atmosphère, chaque artiste digne de ce nom sait se créer celle qui lui est propre. Il nous paraît cependant dépasser un peu les bornes de sa chère vérité, en appelant la capitale de l’Illinois un Napoléon entre les cités, en déclarant que, dans vingt ans, elle sera le centre le plus puissant de la race qui s’exprime en langue anglaise. « Quant à présent, elle dévore, mais un jour elle répandra dans la nation le meilleur de son sang artériel. »

Rose a pour amie intime une grande femme-médecin, aliéniste connue, auteur d’un travail sur les maladies nerveuses qui a fait sa réputation. Entrée l’une des premières à l’école de médecine, elle interpella les étudians hostiles à l’intrusion du sexe faible, en prononçant d’une voix haute et claire les paroles suivantes : « Hommes, je ne dirai pas gentlemen, je suis ici pour travailler