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porains. Ils étaient nés dans la même année 1707. Mais, tandis que Buffon, doué d’une intelligence vaste et capable de tout connaître, mais sans vocation précise, hésitait longtemps avant de décider où il porterait, par une détermination volontaire, tout l’effort dont il était capable, le génie de Linné avait été au contraire dirigé dès le début, par une impulsion en quelque sorte irrésistible, vers les études naturelles et ne s’en était jamais écarté.

L’histoire de l’enfance de Linné est remplie de légendes gracieuses qui tendent toutes à montrer cette sorte de prédestination naturaliste. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce goût décidé se manifesta dès son passage à l’école de son village et lui ouvrit l’accès des Universités de Lund et d’Upsal que la modestie de ses ressources lui aurait interdit. À l’âge de vingt-quatre ans, il conçut le plan de sa classification célèbre fondée sur la considération des organes reproducteurs des plantes. Son ardeur à la recherche des plantes ne connaissait ni bornes ni obstacles. La joie qu’il éprouvait à en découvrir, fait seule comprendre les conditions dans lesquelles il accepta de déterminer la flore de la Laponie, voyageant avec des moyens nuls, seul, à pied, le bâton à la main, sans autre bagage qu’une chemise de rechange et qu’un portefeuille d’herbier, passant les montagnes, traversant les rivières à la nage, toujours heureux de ses peines lorsqu’il avait réussi à récolter quelque espèce inconnue.

En butte à la jalousie de quelques compatriotes et surtout de Rosen, le professeur de botanique d’Upsal, Linné se réfugia en Hollande, s’y fit recevoir docteur en médecine et passa trois ans à Hartekamp auprès d’un riche amateur, Cliffort, qui lui avait confié la direction de ses collections et de ses jardins. C’est là qu’il composa les ouvrages qui ont fondé sa réputation. Il visita ensuite l’Angleterre et vint à Paris en 1738, où il se lia d’amitié avec Bernard de Jussieu, puis rentra dans son pays, où il trouva un accueil qui le dédommagea de ses anciens déboires. Il succéda à son jaloux adversaire Rosen dans la chaire de l’Université d’Upsal. Il y donna un enseignement très apprécié de ses nombreux auditeurs. Dans la belle saison, deux fois par semaine, depuis l’aube jusqu’à la nuit, il dirigeait dans les environs des herborisations instructives, embellies par la fantaisie et la gaieté de la jeunesse qui l’entourait. Quel contraste avec l’existence solitaire de Buffon, que Sainte-Beuve, dans un tableau aussi saisissant que véridique, nous montre, quittant dès le matin son