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formés de races diverses, divisées par leurs intérêts, leurs souvenirs, leurs aspirations, avec la passion que l’ethnographie met dans les cœurs. C’est ce qui donne à la lutte politique une acuité plus grande qu’ailleurs et ce qui explique les scènes de désordre et de violence dont la Chambre des députés a trop souvent retenti. On sent chez tous ces hommes, mal déguisés en parlementaires modernes, les descendans de ceux qui ont lutté sur d’autres champs de bataille ; et le mouvement naturel chez eux, instinctif et prime-sautier, est de recourir à la force, tantôt sous une forme, tantôt sous une autre. Or, le parlementarisme repose sur une double fiction, à savoir que des hommes, réunis dans une même assemblée où ils procèdent par des raisonnemens et non pas par des coups, renoncent à l’emploi de la force les uns contre les autres, et que les moins nombreux s’engagent à s’incliner devant les plus nombreux. C’est un contrat d’une espèce particulière ; nous n’oserions pas dire qu’il soit conforme à la nature ; il est le produit de la civilisation et de l’éducation. Aussi longtemps que ce contrat est respecté, le parlementarisme fonctionne, et rend aux hommes l’immense service de les empêcher de s’entre-déchirer ; mais, le jour où il ne l’est plus, — et voilà longtemps qu’il ne l’est plus en Autriche, — le parlementarisme a cessé d’exister.

Il faut pourtant que l’État vive et se maintienne. Heureusement, la constitution de l’Autriche cisleithane contient un article 14 qui, en l’absence des Chambres, — et il suffit de les congédier pendant quelque temps pour qu’en fait elles soient absentes, — permet au gouvernement de remplacer les lois par des décrets impériaux. C’est la dictature de l’Empereur, de même que, dans les républiques antiques, on nommait quelquefois un dictateur provisoire qui était chargé de redresser la machine chancelante et de la remettre, coûte que coûte, en état de marcher. On a médit beaucoup de l’article 14, et la Chambre, aussitôt après sa convocation, a menacé de le supprimer. Que deviendrait-on pourtant s’il n’existait pas ? A notre avis, le comte Thun, auquel on a adressé de si vifs reproches parce qu’il en avait usé, a rendu en cela à son pays un réel- service. Où en serait-on aujourd’hui s’il ne l’avait pas fait hier, et où en sera-t-on demain si on ne le fait pas de nouveau aujourd’hui ? Il est vrai que le ministre qui a pris sur lui cette responsabilité est forcé de disparaître dès qu’il se retrouve dans l’obligation de réunir les Chambres, et le comte Thun a disparu en effet à ce moment. Mais enfin il avait rempli sa fonction, et fait franchir un pas important aux affaires dont il avait la charge.

Le comte Clary, lui, a trouvé le moyen de s’en aller sans avoir