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M. Emile Picard[1] ait prononcé le mot de « débauche de logique » à l’occasion d’un mouvement récent de critique des fondemens de la mathématique. Il est assurément intéressant, — et c’est ce que nous voulions signaler ici, — de savoir que le concept de nombre fractionnaire (exemple 5/7), celui même de nombre incommensurable (exemple 1/2), se ramènent au concept plus primitif de nombre entier. Mais ce dernier soulève de grandes difficultés philosophiques ; le géomètre, en tant que géomètre, n’en a cure. Et en effet, il y a à la base de notre science et de toute science quelques principes premiers indémontrables (que l’on voit, disent les uns ; que l’on croit, disent les autres) ; — et il n’est pour le nier qu’Homais et ceux de son espèce.

Nous aborderons maintenant la très récente et très importante en même temps que séduisante « théorie des ensembles infinis. » A une collection limitée d’objets correspond l’idée abstraite de nombre entier fini. De même l’on peut concevoir (nous y revenons plus loin) une collection illimitée, et l’on y fait correspondre l’idée abstraite d’ensemble infini. L’on dira par exemple « l’ensemble de tous les entiers, » « l’ensemble de tous les points d’une circonférence… » Cette notion, dont on a aisément une vue intuitive, étant posée, peut-on dire « ensembles égaux » comme on peut dire « nombres finis égaux, » c’est ce que nous allons examiner. Ecrivons ces deux ensembles :

1 2 3 4 5. . . . 20… (indéfiniment)
2 4 6 8 10. . . . 40… (idem)

Ces ensembles sont en correspondance réciproque terme à tonne. Limitons-les maintenant au nombre 10 par exemple. La correspondance cesse, car nous trouvons deux fois plus de nombres entiers que de nombres pairs. L’on serait tenté de dire que de 1 à l’infini, il y a autant d’entiers que de nombres pairs. Mais le deuxième ensemble est une partie aliquote du premier. Il y a donc là une notion nouvelle et l’on a dit : les deux ensembles ont même puissance. Pour des ensembles finis, le concept de puissance se confond avec celui de nombre. Lorsqu’un ensemble infini a même puissance que l’ensemble des nombres entiers, on le dit dénombrable.

  1. Revue générale des Sciences, 1897.