Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’approfondir les idées de nombre, d’infiniment grand, d’infiniment petit… Elles ont aussi un but, un caractère esthétique, et c’est ce que nous allons étudier[1]. La mathématique est un art ! Mais n’est-ce point un formidable abus de langage ? N’y a-t-il pas entre l’art et la science des différences telles que vraiment bien fou est celui qui, à tout prix, veut chercher des rapprochemens ? Sans aucun doute, il est des esprits qui, par suite d’une culture trop exclusive et d’un manque absolu de sens critique, ou plutôt, — tranchons le mot, — par suite d’une absence totale d’envergure intellectuelle, ne voient de l’Univers géant que l’une de ses innombrables faces. Il n’existe rien pour ces simplistes au-delà des limites de leur savoir, et ce savoir fût-il très grand, trop nombreux sont ceux qui, suivant la forte expression de M. Brunetière, « pour savoir tout d’une chose, ignorent tout du reste. »

Assurément nous nous méfierons de généralisations hâtives, d’analogies vagues. Nous signalerons avec force les dissemblances entre l’art et notre science, mais s’il y a entre ces deux manifestations de l’esprit humain quelques notables ressemblances, ne sera-t-il pas permis de les dire ? N’imitons donc pas cet homme qui, ayant bâti sa chaumière tout au bas d’une profonde vallée, renferme le monde dans le cadre étroit de son horizon borné. Qu’un vigoureux coup d’aile nous enlève bien haut, par-delà les cimes, afin que notre regard, perdant le détail, saisisse l’ensemble, et alors puisse voir et admirer les réelles, sublimes harmonies qui existent entre les diverses et majestueuses constructions de ce monument superbe qu’a édifié l’humanité dans sa soif insatiable de vérité et de beauté !

Taine, dans sa Philosophie de l’Art, a dit : « Par beaucoup de points, l’homme est un animal qui tâche de se défendre contre la nature ou contre les autres hommes. Il faut qu’il pourvoie à sa nourriture, à son habillement, à son logement, qu’il se défende contre la mauvaise saison, la disette et les maladies. Pour cela il laboure, il navigue, il exerce les différentes sortes d’industries et de commerce. De plus, il faut qu’il perpétue son espèce et se préserve des violences des autres hommes. Pour cela, il forme des familles et des États, il établit des magistrats, des fonctionnaires, des constitutions, des lois et des armées. Après tant d’inventions et de labeurs, il n’est pas sorti de son premier cercle ; il n’est

  1. Voir : Sur tes Rapports de l’Analyse pure et de la Physique mathématique, par M. H. Poincaré (Acta Mathematica, t. XXI).