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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/386

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encore qu’un animal, mieux approvisionné et mieux protégé que les autres ; il n’a encore songé qu’à lui-même et à ses pareils. À ce moment, une vie supérieure s’ouvre, celle de la contemplation, par laquelle il s’intéresse aux causes permanentes et génératrices desquelles son être et celui de ses pareils dépendent, aux caractères dominateurs et essentiels qui régissent chaque ensemble et impriment leur marque dans les moindres détails. Pour y atteindre il a deux voies : la première qui est la science, par laquelle, dégageant ces causes et ces lois fondamentales, il les exprime en formules exactes et en termes abstraits ; la seconde, qui est l’art, par laquelle il manifeste ces causes et ces lois fondamentales d’une façon sensible, et en s’adressant non seulement à la raison, mais encore aux sens et au cœur de l’homme le plus ordinaire. L’art a cela de particulier qu’il est à la fois supérieur et populaire : il manifeste ce qu’il y a de plus élevé, et il le manifeste à tous. »

Disons : « à beaucoup ; » et nous serons peut-être plus exact. Quoi qu’il en soit, Taine nous a bien montré là une différence essentielle entre l’art et la science.

Comment expliquer, dès lors, ces paroles de deux savans professeurs de l’Université de Paris, qui comptent parmi les plus illustres représentais de la mathématique en France et dans le monde ? Dans la notice qui sert de préface aux Œuvres de Galois, M. Emile Picard[1] a écrit : «… Au point de vue artistique, qui joue un rôle capital dans les mathématiques pures… » Et parmi les pages où M. Henry Poincaré[2] analysait l’œuvre du commandant Halphen, nous trouvons ces lignes : «… Le savant digne de ce nom, le géomètre surtout, éprouve en face de son œuvre la même impression que l’artiste ; sa jouissance est aussi grande et de même nature. Si je n’écrivais pas pour un public amoureux de la science, je n’oserais m’exprimer ainsi ; je redouterais l’incrédulité des profanes. Mais ici je puis dire toute ; ma pensée. Si nous travaillons, c’est moins pour obtenir ces résultats positifs, auxquels le vulgaire nous croit uniquement attachés, que pour ressentir cette émotion esthétique et la communiquer à ceux qui sont capables de l’éprouver. » C’est précisément afin de commenter cette pensée deux fois exprimée que nous avons tenté d’écrire cette simple étude, et bien que nous redoutions, nous aussi, l’incrédulité des profanes.

  1. Œuvres mathématiques d’Evariste Galois, 1897.
  2. Journal de l’École polytechnique, 1890.