« qu’il n’y a ni de la part du peuple anglais, ni de la part de l’Empire britannique, une erreur morale. » Tout au contraire, cette guerre affreuse a noyé l’égoïsme individualiste dans une espèce d’égoïsme national. Et c’est là, suivant lui, le progrès moral. « Que le peuple anglais se trompe ou ne se trompe pas sur les causes de la guerre, » cela d’ailleurs lui est égal. Il lui suffit que le patriotisme éveillé marque un acheminement vers l’idéal, et que le peuple anglais soit pénétré « de la croyance à la mission que Dieu a confiée à sa patrie. » Et c’est en éliminant de la sorte toute question de droit et de justice que ce prélat anglais dit « travailler à l’accomplissement de la prière du Maître : Notre Père, qui êtes aux deux, que votre règne arrive ! » Pour moi, c’est un exécrable blasphème ! Mais de quoi pourrions-nous encore nous étonner ?
Le darwinisme évite intentionnellement toute influence d’un principe théologique, et c’est justement le but arrêté d’avance, dont la conception du droit ne saurait se passer. Livré à l’arbitraire de l’individualisme, subordonné à l’utilité, et en proie aux caprices du hasard, il se volatilise en un brouillard insaisissable. Ajoutez à cela que cette école découvre dans le struggle for life le principe directeur de son mouvement, et qu’elle en déduit la conclusion brutale que les faibles sont fatalement prédestinés à succomber devant les plus forts ; il vous sera difficile, alors, de vous soustraire à la logique de Nietzsche qui fait appel aux plus forts, pour mettre fin le plus vite possible aux velléités des faibles, afin d’accélérer la marche de l’humanité vers le progrès. De là aux projets de l’Impérialisme et aux manœuvres louches dont il se sert pour les réaliser, il n’y a guère de distance perceptible. Et qui donc oserait nier que, dans les milieux où l’on cultive l’agnosticisme, les esprits ne soient assez aisément disposés à plier ? Dans le Livre d’or allemand, le docteur Rothnagel l’a nettement établi : — « Dans les sciences, dans le domaine de la nature, le progrès de notre siècle a été surprenant ; mais, au point de vue éthique, son commencement était supérieur à sa fin[1]. »
L’Angleterre surtout risque d’être entraînée par cet ébranlement de la fixité morale. L’affaiblissement éthique se bifurque, selon la double ornière du péché humain, soit dans l’empire plus
- ↑ Das goldne Buch des Deutschen Volkes, an der Jahrhundertsende, p. 63.