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négociations et à la phraséologie officielle, il traitait les affaires avec une lenteur tout orientale, mais un patriotisme à la fois sincère et éclairé ; une infirmité nerveuse agitait les muscles de son visage sans en altérer l’expression douce et mélancolique ; par l’affabilité de son langage, par sa modération naturelle, par les ressources transactionnelles de son esprit bienveillant aux euphémismes, il semblait appelé à intervenir utilement en faveur des solutions prudentes. Au contraire, son collègue Edhem-Pacha, ancien ambassadeur à Berlin, d’humeur irascible et impérieuse, systématiquement ennemi de l’ingérence étrangère, était mieux d’accord avec les groupes intolérans qui dominaient alors au palais et à la Porte. À ce point de vue, sa présence était suspecte aux plénipotentiaires des grandes Cours : on la regardait avec raison comme un fâcheux indice des intentions de son gouvernement.

Telle était cette assemblée dont on pouvait bien espérer, si l’on n’envisageait que la valeur de ses membres, mais de redoutables conjonctures luttaient contre elle. Au cours de la période qui l’avait précédée, les dissentimens s’étaient aigris : les impatiences slaves avaient aggravé les défiances ottomanes ; tandis que la Russie activait ses préparatifs militaires, la Porte avait élaboré complètement le plan constitutionnel qu’elle estimait la plus opportune manœuvre qu’elle pût opposer à l’Europe ; enfin l’opinion publique, à Constantinople, affrontait sans crainte un conflit décisif. Loin d’attendre quoi que ce fût de la Conférence, on parlait avec dédain de sa réunion comme d’un préambule inutile. L’antithèse était nettement caractérisée d’avance entre les Puissances, qui croyaient leur droit d’immixtion incontestable, et la Porte, qui repoussait absolument au fond, sinon encore dans la forme, des prétentions qu’elle estimait illégitimes ; il était même impossible de retarder le choc par déférence, l’eût-on voulu ; mais le gouvernement turc, qui désirait frapper un grand coup, prit immédiatement position sur le champ de bataille.


IV

Le 23 décembre 1876, la Conférence plénière entrait en séance au palais de l’Amirauté, situé sur la Corne d’Or. Je me souviens que le jour était orageux : des bourrasques de vent et de pluie fouettaient les larges fenêtres de la salle. Le ministre des Affaires