pas économes et dépourvus de prévoyance ; » en revanche, il ajoute que « les bonnetiers, à Nîmes comme partout, forment une classe d’artisans à part, plus propre que les autres, plus rangée, plus économe, de meilleures mœurs et plus aisée, malgré la modicité de leurs gains. » Nous sommes heureux de reproduire un tableau si flatteur, qui n’a rien perdu de sa vérité, au contraire ; de plus, les mêmes bonnetiers ne connaissaient pas le chômage.
Nos vieux faiseurs de bas de Ganges s’habillaient assez grossièrement ; ils travaillaient chaussés de sabots et coiffés d’un bonnet de coton enfoncé jusqu’aux oreilles, opérant, tantôt à la lumière du jour dans un atelier bien clair, tantôt à la lueur d’une lampe associée à un globe de verre rempli d’eau, qui se montait classiquement le 9 septembre, date de la foire du Vigan. Au rebours de beaucoup d’autres ouvriers, le bonnetier, obligé qu’il était de ne pas communiquer la moindre souillure à son travail en blanc, se lavait fréquemment les mains. Comme Diogène, et comme beaucoup de Méridionaux, il humait volontiers l’économique chaleur du soleil au coin de sa porte ; il « prenait le cagnard, » suivant l’expression locale, avant de reprendre sa besogne.
Nos braves gens avançaient leur tâche de façon à terminer leur bas le samedi matin, et chômaient ce jour-là à partir de midi[1]. Les plus dissipés se rendaient à Laroque, petit village situé en aval et à 2 kilomètres de Ganges, pour boire du vin blanc ou se livrer à des parties de boules, ou bien encore s’exercer au jeu de mail. D’autres, — les plus sérieux, — cheminaient, la bêche sur l’épaule, jusqu’au « maset » ou maisonnette entourée d’un lopin de terre, d’un carré de vignes, et cultivaient leur minuscule domaine. Le lundi, mêmes travaux pour les uns, mêmes récréations pour les autres. Le dimanche, le repos, scrupuleusement observé chez les catholiques comme chez les huguenots, était interrompu par le nettoyage et l’huilage du métier, qui ne fonctionnait à nouveau que le mardi. Il ne faut pas oublier une particularité assez curieuse et que nous-même avons remarquée chez d’anciens faiseurs de bas : le goût inné des bonnetiers pour la pêche et leur adresse à capturer truites et écrevisses de l’Hérault. Il faut de l’exercice et du grand air pour amender la nature un peu sédentaire de la profession ; mais, inversement, l’abus de
- ↑ En bonne règle, un bas déjà commencé doit être fini sans une trop longue interruption.