- Si bien que pour laisser une illustre mémoire,
- La mort seule aujourd’hui peut conserver ma gloire.
L’analogie entre le surhomme et le héros cornélien ne s’est pas arrêtée là ; la logique ne le permettait pas. Rien ne désarme aussi sûrement une volonté que le sentiment de la pitié. Corneille et Nietzsche en ont également affranchi leur humanité idéale. Le premier fait dire à Horace qu’il n’y a pas grand mérite à s’exposer soi-même. L’homme « hors de l’ordre commun » se reconnaît à ce qu’il n’hésite pas, quand il le faut, à attirer les plus grandes souffrances sur les êtres qui lui sont le plus chers.
- Combattre un ennemi pour le salut de tous,
- Et contre un inconnu s’exposer seul aux coups,
- D’une simple vertu c’est l’effet ordinaire
- Mais vouloir au public immoler ce qu’on aime,
- S’attacher au combat contre un autre soi-même…
- Une telle vertu n’appartenait qu’à nous.
Les lignes que voici de Nietzsche semblent une paraphrase du discours d’Horace : « Savoir souffrir est peu de chose ; de faibles femmes, même des esclaves, passent maîtres en cet art. Mais ne pas succomber aux assauts de la détresse interne et du doute troublant, quand on inflige une grande douleur et qu’on entend le cri de cette douleur, voilà qui est grand, voilà qui est une condition de toute grandeur. »
Le mépris de la pitié n’était pas plus particulier à Corneille que les idées sur le mariage exprimées dans ses premières comédies. Les seigneurs qu’il avait connus à l’hôtel de Rambouillet auraient eu grand’honte d’éprouver de la compassion. Ils laissaient les attendrissemens aux petites gens, convaincus qu’on peut et qu’on doit être juste et généreux, par des motifs plus virils et plus nobles que l’émotion involontaire où nous savons aujourd’hui reconnaître un ébranlement nerveux. « Je suis peu sensible à la pitié, écrivait La Rochefoucauld, et je voudrais ne l’y être point du tout. Cependant, il n’est rien que je ne fisse pour le soulagement d’une personne affligée ; et je crois effectivement que l’on doit tout faire, jusqu’à lui témoigner même beaucoup de compassion de son mal ; car les misérables sont si sots que cela leur fait le plus grand bien du monde. Mais je crois aussi qu’il faut se contenter d’en témoigner et se garder soigneusement d’en avoir. C’est une passion qui n’est bonne à rien au