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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/905

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rigoureuse probité ; et le vétéran retiré, le vieux marin breton, avec sa barbe en collier, ses yeux ombragés de sourcils drus et grisonnans, son nez busqué comme le bec d’un oiseau de mer, qui conte aux jeunes gens l’épopée des grandes pêches et des terribles ouragans, est un type spécial qu’on, ne saurait oublier.

Quant aux femmes, l’impression qu’elles produisent presque toutes est celle du respect. Elles ont en général conservé leur costume national. Les vieilles, les mères, les épouses, les nombreuses veuves surtout ont la simplicité et la démarche reposée des religieuses. A l’église, au pied des calvaires, elles s’agenouillent lentement, lèvent les yeux comme en extase ; et leurs vêtemens noirs à longs plis droits rappellent les robes de bure des Filles de la Charité ou des Petites Sœurs des Pauvres. Leurs mouvemens tranquilles ont quelque chose de monacal ; l’expression de leur visage est un peu celle des madones ; et, quand elles tournent la tête du côté du grand horizon qui leur rappelle tant de souvenirs, elles ont presque toutes ce regard marin, fixe, rêveur, tendu en quelque sorte au-delà de, notre cercle visible, interrogeant avec anxiété l’immense Océan, et qui semble flotter entre les joies du prochain retour et le deuil de la séparation éternelle.

Les jeunes filles et les enfans même ont autant de gravité que le comporte leur âge. Leur voix est douce, bien timbrée, leur teint clair, leurs cheveux blonds, leurs dents très blanches, leurs attaches assez fines, leur sourire un peu triste, leurs yeux bleus modestes et baissés tout de suite. Elles gardent même dans leurs ébats un air pudique, un fond de réserve, une pureté charmante, une véritable candeur de vierges ; et rien n’est plus gracieux que leur modeste coiffure avec ses deux petites ailes blanches, qui leur donne quelque air de ces jolies mouettes qui volent par milliers autour d’elles sur la lande, et se perdent ensuite dans les embruns de la mer. Toutes, jeunes, vieilles, heureuses ou meurtries, sont des âmes croyantes, toujours bercées entre la légende et le rêve, et ont peut-être la vague intuition de tout ce qu’il y a de fragile et d’incertain dans notre pauvre vie si courte, si insaisissable, dans laquelle le présent n’existe pour ainsi dire pas, puisqu’il nous échappe et s’évanouit sans cesse, et qu’elle n’est, à tout prendre, qu’un trésor de souvenirs et une vision d’espérances.

CHARLES LENTHÉRIC.