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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/540

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— Toujours comme en amour, chaque homme a son genre, — explique Mulvaney. Moi, je suis malade. Ortheris n’arrête pas de jurer, et Learoyd ne chante jamais mieux que quand il écrabouille des têtes. Les recrues pleurent quelquefois et quelquefois ne savent plus ce qu’elles font, et d’autres fois se plaisent à couper la gorge ou à d’autres saletés. Beaucoup d’hommes sont ivres morts après le combat. Y’en a un qui revient en trébuchant, les yeux à demi fermés. On l’entendait souffler à vingt yards, et il se parlait à lui-même d’une langue épaisse, comme endormi… Tout à coup il jette les bras en l’air, fait demi-tour et tombe à nos pieds, mort tout de bon, sans une égratignure. Alors nous avons enlevé nos morts, ne voulant pas les laisser à l’ennemi. Comme nous circulions parmi ces païens-là, nous avons failli perdre not’ etit officier. Il était pour leur donner de l’eau à boire !

— Très bien, que j’dis, mais prenez garde ! Un Paythan blessé est pire que s’il était en vie !

À peine les mots me sont sortis de la bouche que l’malin qui faisait le mort tire sur c’t’enfant qui se penchait. J’vois voler le casque, j’écrase la figure du gredin d’un coup de crosse, et je lui prends son pistolet. Le p’tit off’cier avait pâli, la moitié de ses cheveux était roussie du coup.

— J’vous l’avais bien dit, monsieur, que j’lui dis.

Après ça, quand i’ voulait faire des amabilités aux Paythans, j’restais avec le canon de mon fusil contre l’oreille de l’individu, qui n’osait plus que jurer.

Les Tyrone, eux, grognaient comme des chiens à qui l’on prend un os, parce que Crook, voyant qu’ils voulaient achever tous les blessés, avait promis d’arracher le cuir à qui s’conduirait mal. Mais écoutez donc ! Pour la première fois, les Tyrone avaient vu leurs morts. Alors, ce n’est pas étonnant ! Il y a de quoi mettre en rage. Moi, en premier, je n’aurais fait grâce à aucun homme au-dessus de Khaibar ni à aucune femme non plus, car les femmes viennent la nuit… Nos morts enterrés, nos blessés relevés, nous remontâmes sur la montagne voir les Scotchies et les Gurkeys qui prenaient le thé par baquets, je nVous dis qu’ça, avec les Paythans. »

Bien entendu, ce récit de Mulvaney est en abrégé.

Très caractéristiques, les insolences que jette à un officier d’état-major la compagnie décimée dont il reste une poignée d’hommes à figures de bandits, couverts d’estafilades, et sur qui