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demeuré stationnaire et son avancement artistique n’a jamais été très notable, même à l’époque de sa grande prospérité. Avec les merveilleuses ouvrières dont cette industrie dispose, la dentelle est encore à exploiter, et cette entreprise devrait tenter notre jeune école, qui a traduit dans les divers arts décoratifs, avec une si curieuse exactitude, les inquiétudes et le tourment de l’esprit moderne.


III

On vient de tracer le rôle du fabricant et de définir l’action qui lui incombe dans l’œuvre éventuelle du relèvement de cette industrie ; comment, maintenant, et par quels moyens déterminer le concours du facteur essentiel de cette reprise et redonner au haut public féminin l’habitude des dentelles à la main ? Nous pouvons ici apporter autre chose que des raisonnemens ou des impressions personnelles. La crise, dont l’examen nous occupe, n’est pas, en effet, particulière à la Normandie et à la France ; elle s’est produite dans d’autres pays, où l’on est parvenu à la conjurer. Il importe donc de regarder autour de nous, et de reconnaître ce que les autres ont fait pour en tirer profit et leçon.

En Italie, vers 1870, l’industrie dentellière était complètement tombée comme technique et comme vente : dans l’île de Pellestrina, on n’aurait pas trouvé cent femmes qui fissent de la dentelle aux fuseaux, si l’on peut donner ce nom à un assemblage informe de fils mal croisés, sans dessin ni régularité ; à Burano, il y avait tout juste une vieille femme à connaître encore le point de Venise.

A Pellestrina, le célèbre fabricant Jesurum choisit, en 1872, la dentellière la plus habile et l’installa à Venise, où, pendant deux ou trois ans, elle copia sous sa direction des dentelles modernes françaises et belges, puis d’anciens modèles. Quand elle fut suffisamment instruite, on ouvrit dans l’île une école d’apprentissage pour une vingtaine de femmes ; ces nouvelles dentellières, une fois au courant, retournèrent dans leurs villages, apprirent à leur tour ce métier à leurs filles et à leurs voisines : aujourd’hui, on compte 3 000 dentellières dans la contrée, et la vente de cet article est assez active, grâce à la faveur de la haute société italienne.

A Burano, l’œuvre du relèvement de la dentelle fut directement