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complètement l’initiative individuelle en matière de dépenser, ce qui n’était pas possible sans réviser la constitution elle-même, on ne pouvait pas la réglementer d’une manière plus efficace. Les radicaux et les socialistes l’ont bien compris. Ils ont réclamé à grands cris le renvoi de la proposition Berthelot à la commission du règlement, ce qui aurait été une manière de l’enterrer. Au nom de la commission du règlement qu’il préside, M. Ribot s’est opposé au renvoi, et il a demandé que la question posée fût résolue au fond et définitivement. Il a été fort applaudi. La Chambre, pour la première fois, se défiait d’elle-même et éprouvait le besoin de s’imposer un frein ou, si l’on préfère, de se donner une règle. Elle l’a fait : les contribuables lui en sauront gré.

Dans son discours, M. Ribot, en dehors même des inconvéniens pour nos finances de nos pratiques parlementaires, a signalé un autre mal qu’elles ont fait naître et qui n’est pas moindre : c’est, si on nous permet le mot, l’espèce de désorientation qui a amené les fonctionnaires à se détourner de leurs chefs hiérarchiques pour rechercher de préférence la protection de leurs députés. Le député, étant considéré comme l’homme d’affaires de tous ses électeurs, mais surtout des plus influens, se trouve naturellement chargé de leur donner de quoi vivre, et c’est à lui qu’on s’adresse pour cela. Le ministre est quelquefois trop soucieux des revenus publics, le député a montré qu’il l’était moins, et cette constatation n’a pas été perdue pour les fonctionnaires. Ils écrivent au député et lui demandent de prendre leur défense contre le ministre. On n’imaginerait pas à quel point cette détestable habitude est entrée dans les mœurs administratives. Le recours au députer a eu d’abord un caractère personnel et secret. Le fonctionnaire aurait éprouvé quelque pudeur ou même quelque crainte à l’avouer publiquement : aujourd’hui il l’étale, tant il se sent dans son droit. C’est par pétitions collectives et imprimées que les fonctionnaires en corps s’adressent au député ou au sénateur, ou plutôt à l’un et l’autre, et les mettent en demeure d’utiliser la discussion du budget pour forcer, bon gré mal gré, la main au ministre, et pour l’obliger à l’ouvrir afin de recevoir et de distribuer ensuite la manne des augmentations de traitemens. L’abus est criant, sans doute, mais il est devenu si ordinaire que tout le monde paraît le trouver aussi légitime que naturel. La situation des ministres, qui paraissent éprouver pour leur personnel moins de bienveillance qu’un simple député et quelquefois que la majorité de la Chambre, est difficile. Ils deviennent suspects, presque odieux, parce qu’ils tiennent trop serrés les cordons de la bourse. C’est