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Phelypeaux que l’envoi de cet ambassadeur extraordinaire paraît, il est vrai, avoir un peu dépité. « M. le duc de Savoye, écrivait-il, n’est en rien prévenu pour M. de Tessé qui paroît cependant persuadé du contraire. Ce n’est point à moi de le désabuser[1]. En tout cas, Tessé n’était en rien prévenu pour le duc de Savoie, car il le chargeait de toutes ses forces dans ses dépêches. Dans les premières, il se borne cependant à le traiter de prince incompréhensible, à qualifier de verbiage ses protestations d’attachement, et s’en prend seulement « à ce cruel tempérament d’indécision qui lui fait remettre au lendemain ce qui pourrait se traiter le jour même[2]. » Mais, après avoir vainement essayé de persuader à Victor-Amédée d’apporter dans « ses relations avec les Roys de France et d’Espagne une certaine grâce extérieure qui devroit toujours accompagner les actions quand on les fait et qu’on veut les faire, » il finit peu à peu par s’échauffer contre lui. Il lui reproche ce qu’il y a de bizarre, d’ambigu, d’indécis et de volonté mauvaise ou intéressée dans sa conduite… « Un théatin profès, qui doit être l’assemblage de toute la patience possible, s’impatienteroit[3]. » Bientôt il accuse et lui et celui qu’il appelle « son long comte de Vernon » d’intelligences avec l’Empire. Il dénonce les conférences que Vernon aurait à Paris avec Zinzendorff dans des églises ou dans d’autres lieux, et les fréquens courriers que, de son côté, Victor-Amédée envoie à Vienne. Bref, il surexcite, non sans raison, les défiances de Louis XIV, et, ne parvenant à rien conclure avec Victor-Amédée, auprès duquel il voit son crédit épuisé, il retourne auprès du prince de Vaudémont, laissant à Phelypeaux la suite d’une négociation où celui-ci devait rencontrer plus d’une difficulté.

Victor-Amédée ne pouvait, en effet, se consoler d’avoir vu lui échapper le Milanais, et il ne perdait aucune occasion d’exhaler son amertume. Phelypeaux, en ambassadeur fidèle, rendait compte à Louis XIV des sentimens de celui auprès de qui il était accrédité. « M. le duc de Savoye, écrivait-il, est plein d’honneur, de fierté, de hauteur, d’ambition. Tous ces sentimens se trouvoient remplis dans l’acquisition du Milanois sur laquelle il avoit compté comme sur Turin. Rien n’approche de la douleur qu’il a ressentie quand tout cela a disparu, sans que de l’entière

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 107. Phelypeaux au Roi, 17 janvier 1701.
  2. Papiers Tessé. Tessé au Roi, 1er janvier 1701.
  3. Ibid., 1er février 1701.