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pouvoir modérateur ; il réclamait un gouvernement et non pas un tyran.

Résolu de se substituer au régime établi, mais observant cette disposition, Bonaparte se proposa de réduire l’emploi de la violence au minimum possible ; il conviendrait que la transition entre le régime directorial et le régime consulaire fût à peine sensible, la force armée ne devant intervenir qu’en cas d’absolue nécessité, à l’état de suprême ressource et sur réquisition des autorités civiles. Ayant conçu ce plan, Bonaparte devait nécessairement s’allier aux hommes qui, détenant une portion de la puissance publique, méditaient de s’en servir pour opérer d’autorité une révision constitutionnelle. Depuis cinq mois, un parti déjà installé dans la place, celui de Siéyès et de ses amis, de Talleyrand, Cambacérès, Boulay, Chazal, Real, Rœderer et autres révolutionnaires notables, celui qui comprenait la majorité des Anciens et de l’Institut, préparait un coup d’Etat réorganisateur et en disposait les élémens. Il avait écarté les obstacles, aplani les voies, refoulé les Jacobins, éloigné des compétiteurs dangereux, mis la main sur les principales administrations, détruit à Paris tout centre de résistance, travaillé la haute assemblée, empêché l’autre Conseil de prendre des mesures de défense et de salut ; il tenait tout prêt, au moins pour les premières heures, un personnel de gouvernement. L’homme propre à opérer le dénouement lui avait manqué jusqu’alors. Cet homme, on l’avait maintenant, mais on s’alarmait de ce qui reparaissait en lui : un grand génie et nul frein. Les révolutionnaires nantis avaient peur de Bonaparte ; comme ils en avaient encore plus besoin, ils consentirent à lui faire cession et transport des moyens par eux rassemblés, à condition de rester dans l’affaire et d’en partager les bénéfices ; il y eut accord sur ces bases et concert de mesures.

On s’entendit sur le but immédiat ; on réserva le but final. Siéyès travaillait au profit d’une oligarchie exclusive qu’il espérait diriger doucement dans les voies de l’orléanisme. D’autres brumairiens pensaient comme lui et comptaient que Bonaparte passerait la main plus tard à un roi de leur façon ; ils eussent admis un Bourbon, pourvu qu’on n’eût point choisi « le nouveau monarque dans la famille régnante[1]. » Quelques-uns croyaient sincèrement consolider la République en changeant sa forme.

  1. Cambacérès.