les beautés, mis le doigt sur les imperfections, dénoncé la scène à faire et applaudi aux endroits où l’action rebondit ; appliquant des théories toujours les mêmes, répétant les mêmes choses avec une constance, une assurance, une patience imperturbables, enfonçant les mêmes clous et les mêmes portes, il a jugé les auteurs, conseillé les débutans, encouragé ceux-ci, découragé ceux-là, gourmande les acteurs, taquiné les actrices, disputé avec les directeurs et avec les ouvreuses, pris à partie le public, développé des théories sur l’interprétation du répertoire et sur l’heure du spectacle, sur les destinées de la Comédie-Française et sur le prix des places, pronostiqué le succès, supputé la recette, et enfin subordonné toute sa vie au théâtre, sans avoir un seul jour pendant ces quarante années laissé percer un instant de lassitude ou d’ennui, sans s’être une seule fois plaint qu’une telle besogne fût rebutante et vaine, — et probablement sans s’en être aperçu. Cela fait que, pour beaucoup de gens, Sarcey était devenu un objet d’admiration, et pour d’autres un objet d’étonnement.
Sarcey, de son vivant, s’était toujours refusé à réunir ses articles en volumes. Il était d’avis qu’un article de journal est une besogne au jour le jour, et d’un effet immédiat plutôt que d’une valeur durable ; au surplus, il ne se piquait pas de travailler pour les siècles à venir, et les exemples qu’il avait sous les yeux étaient bien faits pour le garder de toute illusion. Demandez-vous en effet, quelle place tient la critique dramatique dans l’histoire littéraire d’un siècle qui est en grande partie le siècle de la critique. On a réuni les feuilletons de Geoffroy, de Théophile Gautier, de Paul de Saint-Victor, de Jules Janin et de plusieurs autres. Qui les lit aujourd’hui ? Et qui, ayant essayé de les parcourir, n’a bientôt fait de renoncer à cette lecture décevante ? A coup sûr la faute en est d’abord aux auteurs. Le feuilleton était à ses débuts avec le « Père feuilleton » : c’est pourquoi la manière de Geoffroy nous semble bien sèche, et rogne et pédantesque, continuant, sous une forme moins aimable, l’enseignement de La Harpe. Gautier était aussi peu que possible un critique. Saint-Victor se bornait à poursuivre désespérément des effets de style truculent. Pour ce qui est de J. Janin, le mieux est de n’en rien dire, et on demeure stupide quand on songe qu’un public lettré accueillit jadis avec faveur les affligeantes pantalonnades par lesquelles le « prince de la critique » remplaçait le savoir, l’esprit et le goût. Apparemment, c’est aussi la faute du genre. Le théâtre confine trop rarement à la littérature, et la critique y trouve une trop pauvre matière. Toutefois il eût été regrettable de laisser enfouie dans les collections de journaux cette