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retards. Il envoyait des ambassadeurs de tous les côtés, à Vienne, à la Haye, en Suisse ; il remplissait l’Europe du bruit de ses plaintes et faisait parvenir ses récriminations jusqu’à Versailles. Il parlait de la stupore que cette violation du droit des gens lui avait causée ; il accusait Phelypeaux, dont l’aveugle passion aurait prévenu le Roi contre lui ; et protestait des sentimens de son cœur. Il essayait même de faire intervenir son beau-frère, le duc d’Orléans, et, dans un mémoire qu’il le chargeait de remettre, il poussait l’effronterie jusqu’à dire : « Le comte Auersperg, ayant appris cet étrange événement, s’est rendu à Turin, où il est arrivé le 26 octobre. Il fait des propositions fort avantageuses de la part de Sa Majesté Impériale, et si Son Altesse Royale les accepte, on ne pourra s’en prendre qu’à la nécessité où des traitemens si durs et si violens l’auront mis[1]. » Mais, en même temps, il profitait de l’inaction de Vendôme pour conclure la négociation avec Auersperg, qui, depuis l’arrestation de Phelypeaux, se montrait ouvertement à Turin. Il faisait valoir auprès de celui-ci que les Impériaux avaient été la cause de sa ruine en répandant le bruit qu’il avait souscrit à la Ligue, et que le roi de France lui offrait encore les conditions d’un arrangement avantageux ; mais, si l’Empereur consentait à lui accorder le Vigevanesque, qu’il lui avait refusé jusqu’à présent, le traité serait signé par lui immédiatement ; sinon, il s’abandonnerait à la France pour toujours[2]. Auersperg commençait par répondre qu’il n’avait pas pouvoir pour céder le Vigevanesque, et que, certainement, l’empereur Léopold ne ratifierait pas cette cession. Mais Victor-Amédée le poussait si gagliardamente, dit Carutti, que, le 8 novembre[3], il apposait avec Prié et Saint-Thomas sa signature au bas d’un Tractatus fœderis intra Caesaream Majesiatem et Imperium ex una parte atque Regiam Suam celsitudinem Sabaudiæ ex altera. Par ce traité, non seulement tous les pays dont nous avons parlé, y compris le Vigevanesque, étaient cédés à la Savoie, avec la garantie de la Hollande et de l’Angleterre ; mais, en cas de guerre victorieuse, le démembrement de la France était prévu. Toutes les conquêtes

  1. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 134 ot 135. — Victor-Amédée à Vernon, 8 octobre et 14 novembre.
  2. Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia. t. III, p. 342.
  3. Plusieurs historiens, entre autres Henri Martin, donnent à ce traité la date du 25 octobre. C’est une erreur. L’original du traité en latin est à Turin (Negoziazioni con Vienna, mazzo 6), et les traductions du traité qui sont aux Archives des Affaires étrangères, portent également la date du 8 novembre 1703.