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faites en Franche-Comté et en Bourgogne demeureraient la propriété de l’Empereur ; toutes celles faites en Dauphiné et en Provence appartiendraient sans retour à la Savoie.

Ainsi Victor-Amédée stipulait en dernier lieu son agrandissement aux dépens du prince que, sept années auparavant, il avait agréé pour gendre, et dont il dépeçait à l’avance le patrimoine. C’est à ce singulier résultat que devaient aboutir sept années d’alliance. Assurément, la conduite tortueuse de Victor-Amédée n’est pas pour lui faire honneur, et si le succès en a été la récompense, si l’on comprend qu’il demeure aux yeux de ses compatriotes le principal auteur de la grandeur de sa maison et le précurseur de l’unité italienne, l’histoire, moins indulgente, ne saurait voir dans ce succès l’excuse de sa duplicité. Mais il faut reconnaître que, dans ses procédés avec le duc de Savoie au cours de la période d’entente, Louis XIV ne fut ni heureux, ni habile. Il méconnut l’importance de cet allié, sans le concours duquel rien n’était possible en Italie. Il eut le tort de le tenir systématiquement à part des négociations qui précédèrent la Succession d’Espagne, et de ne pas l’admettre à temps au partage anticipé en lui attribuant le Milanais, en échange de Nice et de la Savoie. Lorsque, la guerre avec l’Empire déclarée, il lui imposa son alliance, il eut le tort également de le désintéresser du succès de ses armes, en insérant dans le traité une clause qui lui enlevait tout espoir d’un agrandissement territorial. Quand il reconnut sa faute, il ne sut point se l’attacher définitivement par des concessions suffisantes, et se laissa gagner de vitesse par la diplomatie impériale. Enfin, quand il résolut de le réduire par la force, il ne sut pas davantage prendre des mesures assez vigoureuses pour le mettre à sa discrétion, et, en lui laissant le temps de se reconnaître, il perdit tout le fruit du parti violent auquel il s’était tardivement résolu. Il pécha d’abord par orgueil, ensuite par indécision. C’est qu’il ne pouvait se résoudre à compter avec un aussi faible adversaire, ni se rendre compte qu’un grand roi comme lui pût avoir besoin de ménager un si petit prince. Mais :


On a souvent besoin d’un plus petit que soi.


Louis XIV, qui appréciait à leur mérite Corneille, Racine et Boileau, ne faisait pas assez cas de La Fontaine.

Quelle impression fut produite par ces événemens si graves