trouvé la forme définitive qui aurait convenu à son génie particulier. À l’encontre de ses amis, je trouve l’homme plus parfait que ses poèmes, et, si ceux-ci abondent en passages exquis, ce dont je conviens volontiers, je n’y saurais voir des parfaits chefs-d’œuvre. Novalis aussi, chez qui la fantaisie était beaucoup plus ardente, mourut sans avoir pu terminer le roman impossible, romanesquement chimérique, dont il avait fait l’œuvre de sa vie. Stein, lui, n’a jamais extravagué, et, d’ailleurs, son extrême souci de la forme devait évidemment faire plus lentement mûrir son talent. On peut comparer ces deux hommes, mais aussi les opposer l’un à l’autre comme représeûtant l’un, le romantisme, l’autre le classicisme le plus sévère. Et tous deux sont morts avant d’avoir consommé leur œuvre.
Cette constante préoccupation de la forme, — que Stein voulait simple, correcte, d’une beauté irréprochable, jamais étincelante, toujours ardente d’un feu intérieur, — jointe à cette qualité morale que les Grecs nommaient σωφροσύνη, et qu’il possédait à un haut degré, donnent le droit d’affirmer que Stein, s’il n’eût été fauché si jeune, eût créé des œuvres poétiques de grande valeur. Comme arrière-plan, un horizon vaste, lointain, mais tracé d’une main sûre d’elle-même : sa conception philosophique du monde. Les questions sociales eussent donné la trame de l’œuvre. Et, en avant de ce fond double (la nature immuable et la cohue agitée des humains), se fussent dressés les grands hommes, les héros et les saints ; plus grands que la nature, parce qu’un cœur humain bat dans leur poitrine, plus grands aussi que nous, parce que leur regard embrasse l’univers, et que leur vie semble, comme un océan, nous convier à nous embarquer vers ce monde meilleur que leur œil plus clair discerne, par delà les brumes de notre horizon.
Ce tableau n’est pas pure fantaisie : dans ce que Stein nous a légué, nous en trouvons les élémens, parfois éparpillés, parfois réunis déjà, mais point encore rassemblés dans une parfaite et harmonieuse unité. Son premier livre, dont j’ai déjà parlé, les Idéals du matérialisme ou plutôt Philosophie lyrique nous montre, dans un bouillonnement désordonné, toutes les faces de sa personnalité. C’est encore un chaos ; mais la division en courts chapitres, chacun d’un caractère individuel, montre déjà l’extrême souci de la forme. Et si le philosophe prédomine au début du livre, le poète l’emporte à la fin. Mais le principal ouvrage poé-