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mon bien cher Macé, n’auront pas d’effet sur vous. » Et Macé poursuivait son rêve d’internationalisme, au risque d’affronter toutes les déceptions, même humiliantes. Le vénérable de la loge de Carlsruhe, sollicité par Wolff, vénérable de la loge de Strasbourg, lui répondait « comme un vieux soudard qui ne demande que plaies et bosses. » Wolff s’en plaignait à Macé, et lui disait : « Les journaux allemands ne marchent pas. » Mais Macé continuait de tendre la main à l’Allemagne, avec la déclaration de Kehl entre les doigts.

D’Allemagne on lui écrivait : « Les Français sensés ont bien raison de dire hautement qu’ils ne veulent pas la guerre, puisqu’en France on songe encore aux frontières naturelles ; mais pour les Allemands c’est bien différent ; nous ferons la guerre, et même avec enthousiasme, quand on essaiera de se mêler dans nos affaires intérieures ou quand on voudra empêcher le développement de nos institutions que nous croyons utiles. » On ne pouvait être plus ironique, plus hautain sous des formes courtoises ; c’est le moment où les étudians prussiens répondaient à une avance des étudians français par une protestation contre la neutralisation du Luxembourg, « aliénation d’une terre allemande. » Wolff était atterré de ces symptômes ; et ce n’étaient là que des chiquenaudes, il est vrai ; mais, dans les rapports internationaux, la chiquenaude est toute proche d’être un soufflet. Ces nuances échappaient à Macé. Ennemi de l’Empire, d’ailleurs, ne trouvait-il pas dans la « libre expression des sentimens humanitaires un moyen de faire de l’opposition par allusion ? » C’est ce que se demandait Engel-Dollfus, l’un de ses auxiliaires à la Ligue de l’Enseignement ; et il regrettait que Macé se fût engagé dans cette voie. Zopff, au contraire, au nom de ses convictions républicaines, saluait en Macé le grand pacificateur. À cette date, précisément, M. Frédéric Passy, avec le concours de Gratry, d’Arlès-Dufour, de Martin Paschoud, de Laboulaye, fondait à Paris la Ligue de la Paix, sincèrement étrangère à toute idée confessionnelle ou politique. Zopff soupçonnait dans cette Ligue une manifestation orléaniste, et la déclaration de Kehl, formellement maçonnique d’origine, resplendissait à ses yeux comme le programme du lendemain. Avant de pressentir les concours allemands, la Ligue de M. Passy s’adressait à tous les Français ; la Déclaration de Kehl était une avance à l’Allemagne, faite sur sol allemand, par quelques membres français d’une société internationale.