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d’hommes que nous étions d’abord proposés de diriger sur l’Extrême-Orient. Malgré les protestations d’amitié qu’il a adressées à la Chine, le Japon a mis sur pied des forces considérables, qui ont déjà bien mérité de la civilisation dans l’assaut de Tientsin. Toutes les grandes puissances ont eu au même degré le sentiment du devoir qui s’imposait à elles. L’Italie elle-même, bien que le peu de succès de ses anciennes prétentions en Chine fût de nature à la décourager, n’a pourtant pas voulu rester à l’écart des autres, et elle a fait un effort très honorable pour marquer que, dans une œuvre intéressant la collectivité européenne, on devait toujours lui réserver sa place. Nous aurons donc bientôt une armée imposante à Tientsin, et nous n’hésiterions pas, s’il le fallait, à augmenter encore le nombre et la force de ses régimens. Est-ce à dire que nous soyons résolus, quoi qu’il arrive, à marcher sur Pékin et à y entrer au fracas du canon ? Si nous pouvons éviter d’aller à Pékin, tant mieux ; mais cela ne dépend pas de nous, cela dépend des Chinois. Quant à nous, nous devons conserver pendant toutes les négociations la possibilité d’une marche sur la capitale, et même en augmenter continuellement la facilité. Alors on nous donnera les satisfactions que nous sommes en droit d’exiger, mais qu’on nous refuserait certainement, si nous n’avions pas sous la main un sûr moyen de les obtenir.

Li-Hung-Chang, à Shanghaï, a eu une intéressante conversation avec le correspondant du Times, à qui il a d’ailleurs paru vieilli, fatigué, inférieur à lui-même : l’avenir montrera si cette impression est exacte. Li est affectivement très âgé ; mais il n’a pas donné, dans son gouvernement de Canton, le sentiment que ses facultés fussent affaiblies. Seulement, il compte trop sur sa finesse et sur notre simplicité. A l’entendre, les finances de la Chine ne lui permettent de payer aucune indemnité. A l’en croire, nous devrons nous tenir pour très satisfaits si on nous rend nos ministres, et cette satisfaction devra nous tenir lieu de toutes les autres. Mais surtout, a-t-il répété, que l’armée des alliés se garde bien de faire un pas dans le sens de Pékin : ce serait le signal des massacres qui ont été évités jusqu’ici ! C’est précisément cette menace de Li-Hung-Chang, déguisée sous un conseil, qui donne à croire que le gouvernement chinois a pu avoir la détestable pensée de retenir les ministres étrangers comme otages. Lorsqu’il les affirme vivans, il dit sans doute la vérité ; mais pourquoi n’ajoute-t-il pas qu’ils sont libres et qu’ils peuvent correspondre avec leurs gouvernemens, sinon parce qu’ils sont prisonniers et condamnés au mutisme ? Si on leur rendait la liberté, ils ne manqueraient pas d’en profiter pour