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LE P. GRATRY.

tions ; si cette science ou cette sagesse se propose pour objet de résoudre, par les méthodes les plus lumineuses, les plus compréhensives, les plus accessibles à tous, les difficultés théoriques et pratiques avec lesquelles l’homme est obligé de se mesurer pendant son passage en ce monde ; si elle lui apprend à se bien servir du don de l’existence, à le rendre profitable à lui-même, aux autres, à la société du genre humain ; si, par la vérité mieux connue sur son origine et sur sa fin, elle l’aide à trouver des ressources précieuses pour mieux accomplir ses devoirs, porter plus vaillamment les épreuves inévitables de la vie et, comme dit excellemment Aristote, se mieux acquitter de son métier d’homme, ἀνθρωπεύεσθαι : à tous ces titres, le P. Gratry doit être rangé parmi les philosophes qui auront le mieux mérité de leur temps, de leur pays, de l’humanité tout entière. »

Philosophe peut-être, mais philosophe mystique, a-t-on repris avec dédain, comme si le P. Gratry n’avait fait que substituer « une sorte de sentimentalité vague et occulte à l’exercice normal et nécessaire de la raison[1]. » Il eût plutôt fait le contraire. Il fut mystique sans doute : par nature, et pour ainsi dire par définition, le prêtre, le religieux ou seulement le chrétien parfait aurait quelque peine à ne pas l’être. Mais il le fut comme ceux que Bossuet appelait les « mystiques en sûreté. » Il le fut selon cette définition : « Ne pas seulement entendre, mais sentir et pâtir le divin, » ou suivant cette autre : « Ne pas seulement voir les spectacles divins, mais goûter les saveurs divines. » Une pareille doctrine, un tel état n’a rien de commun avec le faux mysticisme, celui que réprouva Bossuet sous le nom d’ « anéantissement pervers, » et qu’il fit condamner. Pour s’en convaincre, pour bien comprendre que le vrai mysticisme comporte non pas l’inaction, mais l’acte ; non pas l’abolition, mais l’accroissement et la dilatation de l’être, autrement dit de la raison et de la volonté, lisez dans le second volume de la Connaissance de Dieu l’analyse de la Querelle du quiétisme. Vous y verrez comment, — avec quelle sagesse, et j’allais dire quel bon sens, — le P. Gratry se félicite que l’Église ait pris et résolu cette grande et universelle question, métaphysique et morale à la fois, « du côté le plus pratique, le plus touchant, le plus utile au genre humain. »

  1. Cardinal Perraud.