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on faisait les mêmes recherches, dans les faubourgs de Copenhague comme sous les oliviers de Provence, dans les ateliers de Paris comme dans les environs de Cincinnati. Recherches techniques d’abord. Il s’agissait de trouver la composition de chaque émail dont le grès est couvert et qui pour cela s’appelle une « couverte. » Il fallait ensuite produire chacune des couleurs également capables de supporter le grand feu, de façon que la cuisson ne vînt pas, en fixant les unes, détruire les autres, et qu’elle les unît au lieu de les séparer. Un peu la déduction et beaucoup les hasards enrichirent d’année en année la palette du céramiste. Au bleu, au vert et au brun auxquels il était réduit d’abord sont venus s’ajouter le jaune, l’orangé et le rose.

Enfin, il fallait que l’éducation de son œil se fit en même temps que l’enrichissement de ses mains. C’est une étrange peinture, en effet, que celle où l’on a le grand feu comme collaborateur. La couleur dont on couvre le grès avant de le mettre au four n’est pas la couleur que les yeux verront, quand il en sera sorti. Le feu qui reçoit des vases d’un vert terne que donne l’oxyde de chrome, d’un jaune terreux que donne le fer, vous rend un vert éclatant et un or sombre. De même pour toutes les autres couleurs. Il faut que l’artiste voie à la fois ce qui est et ce qui sera. Comme sa main pose les oxydes colorans sur le grès, son œil transpose. Il voit déjà bleu ce qui est gris, il voit déjà jaune, feuille morte ce qui est blanc. C’est comme si la nature, au moment où elle peint d’un vert tendre les feuilles du printemps, voyait déjà l’or et la pourpre qu’elles revêtiront quand l’automne aura passé par-là.

Certes il ne voit pas tout. Vers la trente-sixième heure où brûle le four, un mystère s’accomplit, dont il n’est pas le maître. Vainement il tourne autour du four, vainement il en retire avec mille difficultés la petite « montre » de terre, vainement il applique son œil contre le « regard » pour observer si le feu est encore jaune pâle ou s’il est déjà blanc et se demande s’il faut l’arrêter. L’œuvre du temps n’est pas toujours semblable à elle-même, les « montres » retirées d’un seul endroit du four, sont souvent infidèles, l’œil peut être illusionné par des vapeurs imprévues. Dans plusieurs jours, quand on démolira la porte du four, tout se trouvera peut-être taché ou brisé. Mais le feu n’est pas seulement un collaborateur fantasque : c’est aussi un magicien bienfaisant. Il rendra peut-être plus qu’on ne lui demandait. Il indiquera peut-être une richesse nouvelle. Il fera peut-être paraître aux yeux de l’artiste