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un idéal dont il ne se fût pas avisé. C’est ce magicien qui lui a inspiré le « flambé, » lui qui a imaginé les effets de cristallisation. Un jour, la fumée qui sortait des cheminées de M. Delaherche fit croire à un incendie. On appela les pompiers. Le désarroi empêcha qu’on renouvelât assez vite la provision de bois et l’air pénétra indûment dans le four. Quand l’artiste s’en aperçut, il crut à un désastre et, en effet, toute la fournée était perdue, — hors un chef-d’œuvre qui donna l’idée et presque la loi d’un progrès nouveau. Beaucoup de joies ont été dues à de semblables surprises. Le céramiste a bien des secrets : celui-ci a une terre rare qu’on ne saurait trouver ailleurs, celui-là renferme dans des livres doctes les formules cabalistiques de ses terres colorées, de ses émaux. Mais le plus grand secret de tous, c’est le feu qui le possède, et à certains momens, après des jours et des nuits d’angoisses passés autour de ses alandiers à guetter la flamme et à conjecturer ce qu’elle lui donnera, le céramiste peut croire que deux génies se partagent l’empire du feu et s’y combattent : celui qui lui rend toute son œuvre en morceaux, détruisant parfois le rêve et le travail de toute une année, et celui qui la lui rend transfigurée en joyaux dépassant de beaucoup les rêves qu’il rêva.

Il profite de ces hasards et peu à peu en dégage la loi. C’est ainsi que l’on a poussé plus loin encore les progrès de la décoration au grand feu et d’un ton de couverte unique tiré des effets encore nouveaux. Car, non seulement le grand feu donne une autre couleur au vase qu’on lui a confié, mais encore il peut varier infiniment cette couleur qu’on lui donne. L’air entre-t-il dans le four ? Voici que le vert devient bleu et le bleu devient blanc… La fumée, au contraire, l’envahit-elle ? Voici que le rouge se fait jaune et le jaune se fait noir. Ces variations de tons sous l’influence des différens gaz oxydans ou réducteurs de la flamme forment ce qu’on appelle le flambé. Pour s’en faire une idée complète, il faut se promener dans la dernière galerie du Palais des Invalides au rez-de-chaussée, classe 72, le long des petits réduits où l’administration a caché les merveilles de la céramique française. Il faut considérer ces grès de M. Delaherche aux lignes calmes et lentes comme sont calmes et lents les mouvemens du terrain de l’Ile-de-France où ils furent tournés. Là, sur une terre favorable, parmi les riches teintes d’une grasse campagne, se trouve le village au vieux nom céramique de la Chapelle-aux-Po(s. A quelque distance, en plein champ, les paysans voient