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exercée, dans des heures de nécessité pressante, un jeune homme de dix-huit ans, pâle organe d’une volonté paternelle qui n’aurait pu agir que par procuration et à distance, au milieu d’une nation encore à l’état révolutionnaire. Quelles entraves n’auraient pas opposées à toute résolution énergique le souvenir ressuscité de vieilles libertés municipales et les élémens disparates d’un congrès élu par une insurrection ! Avoir, entre deux batailles à livrer et en face de quatre ennemis réunis, deux parlemens à conduire, l’un à Paris et l’autre à Bruxelles, et tous deux en ébullition, c’eût été vraiment trop pour une tête humaine.

Il suffisait d’ailleurs de se rappeler l’histoire même la plus récente pour savoir que les secundo-genitures royales ont toujours rapporté aux dynasties qui les fondent plus d’honneur apparent que de profit réel. Que d’ennuis n’ont pas causés, pendant tout le XVIIIe siècle, les Bourbons de Madrid aux Bourbons de Versailles ! Et ne venons-nous pas d’apprendre, par des récits aussi véridiques qu’intéressans, quel souci avait procuré à Napoléon lui-même la sotte fantaisie d’installer sur tous les trônes ses frères et ses sœurs[1] ? Ne les avait-on pas vus, dès le lendemain de leur avènement, prendre au sérieux leur royauté postiche et ne tardant pas à embrasser, contre l’auteur même de leur grandeur, les intérêts des populations, qui, ne les connaissant pas, ne leur en savaient aucun gré ? Pour exposer son jeune fils à ces divers genres de périls et de tentations, il aurait fallu que Louis-Philippe cédât sans réflexion à un véritable entraînement du sentiment paternel ; mais, très bon et très tendre père, Louis-Philippe était pourtant le moins sentimental des hommes.

Son parti fut donc pris tout de suite, et d’importans personnages belges, venus à Paris, non pas encore en délégation, mais à titre officieux, pour connaître ses intentions, reçurent, aussi bien du roi que de ses ministres, la déclaration formelle, que si la couronne était proposée au Duc de Nemours, l’offre serait certainement refusée. Cette notification précéda de plusieurs jours un entretien du premier ministre anglais, lord Grey, avec M. de Talleyrand, l’avertissant que la nomination d’un prince français en Belgique serait considérée comme une conquête déguisée de la France et rencontrerait la même hostilité que l’annexion pure et simple[2] et

  1. Voyez le curieux ouvrage de M. Frédéric Masson : Napoléon et sa famille.
  2. L’entretien avec M. Gendebien, porte-parole des Belges, est du 4 janvier 1831 ; la conversation de lord Grey avec Talleyrand n’eut lieu que le 24.