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LE POÈTE NOVALIS.

rir d’elles. — Toujours les momens d’inquiétude sont suivis d’un calme délicieux. — Aujourd’hui j’ai été très gai et très accommodant. J’ai travaillé avec plaisir, et ai retrouvé ma chaleur de pensée. — Le soir, j’ai cru qu’un accès allait se produire : j’ai eu une grosse angoisse.

Le 9 octobre. — Ce matin, je me suis senti un peu d’angoisse ; mais je me suis mis au travail et ne me suis pas laissé intimider. Demain, peut-être, mon sang retrouvera son calme, et ma bonne humeur me reviendra. — Oh ! que n’ai-je le sens du martyre ! — N’ai-je pas choisi moi-même tout mon sort, de toute éternité ? Chaque idée triste n’est qu’une illusion. — Mon angoisse a duré jusqu’au soir, où j’ai été très gai, et fort ranimé par la perspective du voyage à Siebeneichen. Mais, la nuit, mon angoisse est revenue : je n’ai pu m’en débarrasser que par une ardente méditation religieuse.

Le 16 octobre. — Le plus sage est d’avoir assez de bon sens pour prendre d’un cœur joyeux tout ce qui arrive, comme un bienfait de Dieu. Par la prière on obtient tout. La prière est l’unique panacée.

La prière fut en effet pour lui un réconfort précieux, durant ces derniers mois de sa maladie. Et une autre joie lui fut encore donnée. Il se crut passionnément aimé d’une belle jeune fille, avec qui il avait fait connaissance quelque temps auparavant, et qui avait entrepris de devenir sa femme. C’était, au contraire de la petite Sophie, une créature assez méprisable ; avant même que Novalis eût fini de mourir, elle essaya de séduire Charles de Hardenberg, de façon à se faire épouser par lui, à défaut de son frère. Mais Novalis prit au sérieux ses assurances d’amour ; comme elle feignait de dépérir, pleurant et se lamentant, il eut pitié d’elle et demanda sa main. Il n’attendait que d’être guéri pour se marier avec elle : et l’attente du mariage le consolait de ses maux. Toute sa vie il avait considéré le mariage comme la forme la plus haute du bonheur humain. « Sois bien sage, écrivait-il déjà à son frère cadet en 1794, et pense que quatre ou cinq ans à peine nous séparent du moment où nous pourrons nous marier ! »

Le 23 mars 1801, son ami Schlegel, étant venu le soir, le trouva « dans un état de faiblesse extraordinaire, mais plus affectueux et meilleur que jamais. » Il mourut le surlendemain, 25 mars, à une heure de l’après-midi.

T. de Wyzewa.