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Celui-là les regarde, et déroule en pleurant
Les rubans compliqués, et qui jadis, serrant
Ma cheville vivante en leur lacis de soie,
Augmentaient son désir en retardant sa joie.
… Le seuil où si souvent s’est hâté mon retour,
Le seuil fidèle a-t-il conservé leur contour ?
Hélas ! rien n’est resté de leur forme nacrée !
L’eau oublie en coulant leur peau pâle et pourprée,
L’herbe qu’ils effleuraient d’un poids léger ou las
Et le sol qu’ils pressaient ont oublié mes pas
Errant vifs et joyeux, quelquefois infidèles,
Quand vers l’amour furtif les perfides semelles
Volaient dans la poussière et butaient aux cailloux ;
Aussi mon amant craint, à tout jamais jaloux,
Que la fleur entr’ouverte ou le bouton qui bombe
Couleur de safran rose et croissant sur ma tombe,
N’offre au passant pensif un peu de ma beauté ;
Parce qu’il sait combien, étant toujours hanté
Du désir inutile et vain qui le dévore,
L’ombre de ma beauté peut être belle encore.
… Mais je dors sans souci des amours inconnus,
La terre où j’ai dansé pesante à mes pieds nus.


ÉPILOGUE


Je veux dormir, au fond des bois, pour que le vent
Fasse parfois frémir le feuillage mouvant
Et l’agite dans l’air comme une chevelure
Au-dessus de ma tombe, et selon l’heure obscure
Ou claire, l’ombre des feuilles avec le jour
Y tracera, légère et noire, et tour à tour,
En mots mystérieux, arabesque suprême,
Une épitaphe aussi changeante que moi-même.